Acta Pacis Westphlicae II B 1 : Die französischen Korrespondenzen, Band 1: 1644 / Ursula Irsigler unter Benutzung der Vorarbeiten von Kriemhild Goronzy
Mémoire à Messieurs les Plénipotentiaires de ce qui a esté remar-
qué sur les propositions de l’Empereur faictes à Francfort contre
la lettre circulaire que lesdicts Sieurs Plénipotentiaires avoient
escripte et sur leur despêche du 16 e du passé.
Quoyque l’on ayt entretenu au long le Sieur de Saint Romain sur toutes
choses et que l’on ayt sy bonne opinion de sa capacité que l’on ne doubte
poinct qu’il ne rapporte fidèllement et avec ponctualité tout ce qui luy a esté
dict, néantmoings on a estimé debvoir mander encores ce qui s’ensuit sur
les poinctz plus principaux.
Premièrement: Après avoir esté examiné dans le Conseil en présence de
Sa Majesté ce qui seroit plus à propos de faire sur les propositions portées
à Francfort de la part de l’Empereur qui ont esté trouvées très injurieuses et
conceues avec un esprit plus tourné à la séparation de l’assemblée généralle
qu’à sa continuation, il a esté résolu que Sa Majesté en escrira une lettre
circulaire à toutes les villes, Estatz et Princes de l’Empire, dont lesdicts
Sieurs Plénipotentiaires trouverront la coppie cy joincte, par laquelle ilz
verront que le Roy ratiffie le convy par eulx faict à tous lesdicts Princes
d’envoyer leurs députéz au lieu où ilz sont, et Sa Majesté les y conviant de
nouveau se remect cependant à ses Plénipotentiaires s’ilz ont à leur faire
sçavoir quelque chose tant pour le présent que pour l’advenir.
On ne croit pas qu’il y ayt rien à changer à la lettre qu’escrit Sa Majesté.
Mais comme lesdicts Plénipotentiaires estans sur les lieux peuvent mieux
cognoistre ce qui y seroit le plus utile pour l’effect que l’on se propose,
s’ilz trouvent qu’il y ait quelque chose à dire ilz en donneront advis par
deçà, affin que l’on y fasse les réfflexions nécessaires, et cependant ilz pour-
ront surceoir l’envoy de la lettre.
Lesdicts Sieurs Plénipotentiaires dresseront donc une responce exacte à
l’escript de l’Empereur, laquelle sera d’autant plus efficace que la lettre que
Sa Majesté escript présentement n’advoue pas seulement ce qu’ilz ont fait
par le passé mais ce qu’ilz feront à l’advenir.
Ils prendront garde principallement d’appuyer tout sur les résolutions qu’a
la France de faire la paix et sur l’aversion que les ennemys y tesmoignent,
ce qui leur sera facile de vériffier par leur conduicte dans l’assemblée de
Munster et par les raisons frivolles qu’ilz allèguent pour se déffendre
d’entrer en négotiation, sur lesquelles mesmes qu’elles soient sans fonde-
ment ilz feront cognoistre avoir ordre exprèz de Sa Majesté de donner toute
satisfaction comme ilz la donneront en effect, et faisans en sorte avec les
ministres des alliéz de cette Couronne qu’ilz n’y trouvent rien à redire.
Sur toutes choses Sa Majesté leur commande de s’abstenir de toutes sortes
d’invectives et de reproches injurieux et de respondre modestement se
contentans de la force des raisons, affin d’obliger par nostre modération
tous les Princes d’Allemagne de louer nostre conduicte et blasmer celle des
ennemys quand ilz s’appercevront de la retenue que nous gardons après
avoir esté sy outrageusement provoquéz et dans un temps où la constitution
des affaires nous pourroit bien donner lieu de nous enorgueillir.
Ilz se souviendront aussy de parler tousjours avec grand respect de l’Empe-
reur et du Roy d’Espagne, et quand ilz seront nécessitéz de blasmer leur
conduicte, d’en rejetter la faulte sur les mauvais conseilz qui leur sont
donnéz.
Que comme Sa Majesté les a particulièrement chargéz de rendre cappable un
chacun de la sincérité de ses intentions pour la paix généralle, ilz conjurent
de nouveau tous les Princes d’envoyer leurs députéz à Munster, où ilz
s’offrent de faire cognoistre démonstrativement à un chacun l’extrême pas-
sion qu’a le Roy leur maistre pour l’advancement d’une si bonne œuvre,
Sa Majesté leur ayant mesme donné ordre de conférer avec leursdicts députéz
des moyens d’y parvenir bientost et de recevoir leurs sages advis et conseilz
en ce qui regarde les affaires d’Allemaigne, pour lesquelles Sa Majesté n’a
autres pensées que celles qu’ilz peuvent avoir eux mesmes.
Il sera bien à propos d’insinuer en quelques endroictz de la réplicque qu’on
ne s’estonne point du sentiment extraordinaire qu’ont tesmoigné les ministres
de l’Empereur des diligences que nous faisons pour faire ouvrir les yeux
aux Princes, Estatz et villes de l’Empire et les convier à l’establissement
d’une paix qui ne puisse estre altérée à l’advenir, puisque tout cella estant
contraire au desseing de noz ennemys et ne pouvant lesdicts Princes songer
à la conservation de ce qui leur est deub sans diminution de l’authorité que
l’Empereur veult usurper, il n’est pas estrange qu’il fasse tous ses effortz
pour s’y opposer.
Il ne sera pas malaisé ausdicts Sieurs Plénipotentiaires de destruir[e] les
impressions que l’Empereur s’efforce de mettre dans l’esprit des Allemandz
contre la nation françoise, dont il veult donner des soubçons et la charger
de hayne.
Les François ont de tout temps aymé beaucoup les Allemandz, mais ilz
n’ont pas tousjours adhéré à tous les sentimens de l’Empereur. Cela n’est
non seulement pas incompatible mais ne sçauroit estre aultrement, parce
qu’on ne sçauroit avoir de pensée pour modérer l’authorité impérialle dans
les bornes légitimes qu’elle doibt avoir qui ne soit aussy à l’advantage de la
liberté germanicque, en sorte que plus noz protestations sont sincères et
affectionnées envers les Princes d’Allemagne plus elles sont sensibles à
l’Empereur.
C’est une pure mocquerie de dire aux Allemandz que la domination du Roy
est plus absolue et que la France souffre plus qu’eulx, puisque nous n’avons
aucune prétention de les subjuguer, mais seulement de leur donner les
assistances dont ilz auront besoing pour se maintenir dans la jouissance des
privilèges qui leur appartiennent et pour se garentir d’oppression.
Il ne faut pas laisser sans répartie ce qu’ilz imposent à la France et à la Suède
d’avoir voullu appeller le Turc dans l’Empire et rendre inutile le desseing
qu’ilz ont en cela de charger les Couronnes confédérées de la hayne de toute
la Chrestienté.
On pourra en rebattant cet endroict mettre en évidence le traicté qu’on
vient de descouvrir qu’avoient faict les Espagnolz avec les Maures pour
assiéger eulx par mer et ceulx cy par terre la ville de Tanger sur le Roy de
Portugal, dont les conditions les plus estranges qui puissent tomber dans
l’esprit d’un Chrestien estoient que moyennant la ville toute nue et le canon,
ilz en abbandonnoient la despouille, les biens, la liberté et la vie des habitans
aux Maures. Messieurs les Plénipotentiaires en apprendront plus de parti-
cularitéz par la coppie qu’on leur addresse d’une lettre que le Roy de
Portugal en a escript[e] icy à son Ambassadeur.
On estime qu’au mesme temps que l’on combattra la croyance que les enne-
mys on voulu donner de l’affaire du Turc, il est à propos d’éviter de parler
du Ragonky[ sic].
Il semble qu’on pourra conclure la responce par un argument qui paroist
sans réplicque: L’Empereur qui n’a jamais cessé de voulloir s’arroger un
Empire absolu et despoticque dans l’Allemagne, ce qui ne peult estre qu’avec
diminution et annéantissement des privillèges des Estatz et villes de l’Empire
et avec la perte de leur liberté, leur faict aujourd’huy instance de remettre
aveuglement leurs intérestz entre les mains de ses ministres à l’assemblée.
N’est ce pas voulloir se rendre en mesme temps juge et partye, et les Alle-
mandz seroient ilz bien sy peu clairvoyans et mal conseilléz de consentir à
une proposition qui establiroit à jamais leur esclavage et mettroit la con-
duicte de leurs intérestz entre les mains de celluy seul qui en peult abbuser?
En cecy comme en tous les aultres articles de la responce à l’escript de
l’Empereur, il est à propos de concerter ou du moins en donner participation
aux ministres de la couronne de Suède.
Il se peult faire que les ennemys, voyans grande disposition aux Princes
d’Allemagne d’envoyer leurs ministres à Munster et se doubtans bien que
ceulx de Sa Majesté auront moyen de leur faire toucher au doigt non
seulement la disposition de Sa Majesté à la paix, mais à une paix qui leur
soit advantageuse dont il pourroit s’ensuivre une grande union de cette
Couronne avec lesdicts Princes au préjudice et notable dommage des
intérestz de la Maison d’Austriche, ilz prendront quelque prétexte plausible
pour rompre cette négotiation par la rupture de l’assemblée mesme, auquel
cas il est nécessaire de se conduire avec une extrême prudence et se
gouverner de façon que les ennemys ne viennent pas à bout de ce qu’ilz
prétendent.
Il fault aussy que lesdicts Sieurs Plénipotentiaires essayent par le moyen
des Médiateurs de faire bien explicquer l’Empereur sur ce qu’il entend quand
il dict qu’il sçait ce qu’il doibt faire contre les diffamateurs qui en ce cas ne
se comportent pas suivant leur saufconduict, parce qu’ilz ne peuvent agir
librement dans une assemblée où il doibt estre permis à un chacun de faire
ce qu’il jugera plus à propos pour advantager le service de son maistre dans
la négotiation de la paix, alors Sa Majesté recognoissant que ses ministres
n’y peuvent pas demeurer avec la seureté que le droict des gens et ce qui a
esté particulièrement arresté dans le traicté des préliminaires leur doit donner,
sera obligée de penser à les retirer, auquel cas toute la Chrestienté cognoistra
clairement à quelles extrémitéz se portent les ennemys de cette couronne
pour empescher la paix.
Nous sçavons que les Impériaux craignent extrêmement les résolutions de la
diètte de Francfort, dont ilz cognoissent les inclinations porté[e]z la plus-
part à envoyer leurs députéz à l’assemblée généralle, lesquelz cognoissant
sur les lieux le désintéressement et la candeur avec laquelle la France regarde
les affaires d’Allemagne et souhaitte sa liberté et l’advantage de ses Princes,
pourroient se prévalloir de noz bonnes intentions pour donner le repos à la
Chrestienté.
Il semble donc qu’il ne fault laisser en arrière aucun soing ny dilligence pour
y attirer ses députéz, parce qu’estans tesmoings occulaires des actions et du
procédé des ministres du Roy, ilz verront à qui véritablement il tient que
nous n’ayons bientost une bonne paix, ce qui donneroit grand advantage
à cette Couronne et chargeroit de confusion noz ennemys, d’autant plus
qu’examinant encore de plus prèz la condition et la qualité des personnes
qui ont esté envoyées à l’assemblée par la France, par l’Empereur et par
l’Espagne, ilz pourront encores mieux conclure quelle est l’intention et la
sincérité des ungs et des autres.
Enfin aultant que l’on cognoist d’aversion à la Maison d’Austriche d’entendre
non seulement à la conclusion de la paix mais à la négotiation mesme,
quoyqu’elle n’oublie cependant aucun artiffice pour persuader le contraire
et rejetter sur cette Couronne le blasme du retardement qui se rencontre à
establir le repos de la Chrestienté, d’autant plus debvons nous applicquer
incessamment toutes noz pensées à faire cognoistre le contraire à tout le
monde, ce qui ne debvroit pas estre difficile, n’y ayant rien de sy constant
et sy véritable que la disposition ou plustost la ferme résolution de Sa Majesté
de contribuer de tout son pouvoir pour l’advancement d’une sy bonne oeuvre,
y apporter de son costé toutes les facilitéz convenables et surmonter tous les
obstacles mesmes imaginaires qui seroient cappables d’en différer ou em-
pescher l’effect.
Comme nous ne sçaurions guières remporter d’advantage plus considérable
sur noz ennemys que de mettre sy bien cette vérité en évidence que personne
ne puisse plus en doubter, il semble aussy que les ministres de la Maison
d’Austriche, employans comme ilz font tant de destours et de prétextes
mandiéz pour eviter de se veoir obligéz à traitter, nous fournissent eulx
mesmes un beau moyen pour faire cognoistre ce que nous prétendons qui
est leur aversion à la paix, parce que ne fondans dans l’apparence le subject
de leurs remises et des déffaictes qu’ilz trouvent pour en esloigner le traitté
que sur les déffautz qu’ilz disent estre dans les pouvoirs de noz Plénipoten-
tiaires et sur d’autres raisons qui n’ont nul fondement, comme de voulloir
conserver la médiation au Roy de Dannemarck, quand nous nous porterons
à faciliter toutes choses de nostre costé et à oster les obstacles mesmes qui
effectivement n’y sont pas, mais qu’ilz ont forgéz malicieusement pour nous
rendre coupables de leur crime, il est certain que nous les mettrons dans un
estrange pas et dont ilz auront grande peine à se retirer, supposé néantmoings
tousjours que la dignité du Roy ne soit point blessée de nostre condescen-
dance.
Or, il est sans doubte que l’honneur de Sa Majesté en sera non seulement
conservé mais plustost accreu, et quelque facilité qu’elle apporte à la paix
elle en retirera beaucoup de louanges, et elles ne pourront estre interprétées
pour des marques de foiblesse, puisque Dieu mercy chacun est tesmoing
à quel hault poinct de prospérité et de gloire se trouvent aujourd’huy les
affaires de ce Royaume et quelle espérance nous debvons concevoir de les
veoir encores plus fleurissantes à l’advenir.
Il est constant que prenans cette conduicte nous ne pouvons que beaucoup
gagner, puisque nécessairement il faudra ou que les ministres de la Maison
d’Austriche estans convaincus sy publicquement des satisfactions que sans
préjudice de nostre honneur nous pouvons leur donner sur les raisons ou
prétextes qu’ilz allèguent pour s’excuser aujourduy de traitter, donneront
pour lors les mains à commancer la négotiation qui est qu’effectivement
nous désirons, ou formans de nouvelles difficultéz pour esloigner encores
ce traitté, nous aurons gagné ce poinct de faire toucher au doigt à un chacun
avec grand [dés]advantage et confusion pour noz ennemys que la véritable
pierre d’achoppement dans le traitté de la paix c’est la seule obstination
qu’ilz ont à continuer la guerre sur les espérances que la minorité du Roy
leur fournira les moyens d’avoir de grandz advantages sur la France par les
divisions ou par les armes.
Il semble donc que le plus grand coup que l’on puisse porter à leur préjudice
c’est d’oster tous les obstacles qui empeschent du moings en apparence le
commancement de la négotiation, et à mesure que nous le ferons en rendre
un chacun capable et appeller pour tesmoings de noz actions non seulement
les Médiateurs commungs, mais tous les Princes qui souhaittent la tran-
quilité publicque, et notamment les Estatz, Princes et villes de l’Empire, qui
commancent desjà à nous croire plus disposéz à la paix que la party con-
traire.
Il sera aussy nécessaire en mesme temps de faire comprendre aux ministres
de tous noz alliéz et particulièrement à ceulx de la Couronne de Suède les
motifs qui nous doibvent obliger à en user de la sorte, affin que les approu-
vans nous puissions de concert prendre tous ensemble une mesme con-
duicte.
Quant à la médiation du Roy de Dannemark, sy on peult terminer ses
différendz avec la Suède, il n’y a nul doubte qu’il ne puisse venir reprendre
sa place dans l’assemblée en cette qualité, mais la guerre continuant comme
les ministres dudict Roy ont bien recogneu qu’il ne le pouvoit pas prétendre,
ilz y seront tousjours receus comme ceulx des aultres Princes pour représen-
ter les intérestz de leur maistre, lesquelz pourront y estre traictéz par l’entre-
mise de l’Ambassadeur de Venise ou par celluy de quelque autre Prince dont
les parties demeureront d’accord.
Du reste il est ridicule que les ministres d’Austriche insistent à voulloir
que ceulx de Dannemark soient encores aujourd’huy Médiateurs, ou à dire
qu’ilz ne peuvent traitter parce que la rupture de Suède contre Dannemark
empesche que ledict Roy n’exerce dans l’assemblée sa médiation, comme sy
la paix avoit en soy cette nécessité de ne pouvoir estre traittée ny conclue
que par l’entremise dudict Roy ou que ce luy fut une grande injure de ne
pas traitter les intérestz de ceulx avec lesquelz il est présentement en guerre.
Voylà pour ce qui regarde l’escript de l’Empereur et la réfformation des
pouvoirs desdicts Plénipotentiaires.
Maintenant Sa Majesté juge à propos de les informer de plusieurs choses
qui sont venues à sa cognoissance par le moyen des intelligences qu’elle a
en divers endroictz, affin qu’ilz puissent s’en prévaloir pour son service
dans le cours de la négotiation.
Premièrement on a nouvelles que Saavedra s’est employé pour adoucir
l’esprit de l’Empereur, et on a d’ailleurs plusieurs conjectures qui font croire
que les Espagnolz qui jusques à présent n’auront peult estre pas veu sy loing
comme les ministres de l’Empereur touchant le préjudice que peult recevoir
leur party de l’envoy des députéz à l’assemblée, en appréhendent extrême-
ment la séparation et craignent qu’enfin Sa Majesté desgouttée des longueurs
qui se rencontrent à commancer la négotiation et des mauvais traittemens
que souffrent ses Ambassadeurs et ceulx de ses alliéz, il[!] ne se résolve à
les retirer.
On penètre aussy que la raison principalle pour laquelle les Espagnolz ont
cette craincte, c’est qu’encores que présentement ilz n’inclinent pas beaucoup
à la paix non plus que l’Empereur, ilz veullent néantmoings estre tousjours
en estat de la conclure en un moment, s’ilz y estoient forcéz par quelque
mauvais succèz sy considérable qu’il leur fit appréhender des suittes encores
plus fascheuses pour l’advenir, s’ilz ne trouvoient moyen auparavant de s’en
garantir par la paix.
On sçait aussy que rien n’a plus picqué les ministres du party contraire que
le préambule ou dispositif du pouvoir desdicts Plénipotentiaires.
On a encores descouvert que les ministres d’Espagne à Munster ne sont pas
satisfaictz de la façon dont traittent avec eulx ceulx de l’Empereur, qui font
quasy une partie de ce que bon leur semble, non seulement sans défférer aux
sentimens des autres mais sans le leur communicquer.
Lesdictz Sieurs Plénipotentiaires seront aussy informéz de la bassesse qu’ont
commis [e] les Espagnolz en Angleterre, qu’on a appris icy avec grand
estonnement mais pourtant avec grand plaisir, puisque c’est une marque
bien évidente de leur foiblesse et des extrémitéz où ilz sont réduictz. Ilz se
sont addresséz au Parlement d’Angleterre et l’ont recognu en cette qualité
pour luy demander assistance pour le secours de Graveline, et par ce moyen
on faict l’action la plus offensante qu’ilz pouvoient contre le Roy de la
Grande Bretagne, sans mesmes estre auparavant asseuréz que du moings
elle produiroit l’effect qu’ilz s’estoient proposéz .
On ne doubte point qu’ilz n’ayent encores assez d’artiffice pour vouloir
persuader audict Roy que ce qu’ilz en ont faict n’a esté que pour son service,
et que comme ilz n’ont pas veu qu’il fut présentement en estat de secourir
cette place ce qui est très important au Royaume d’Angleterre, ilz ont voulu
se servir de ses ennemys mesmes pour luy procurer un advantage qu’il
n’estoit pas aultrement en estat d’espérer, et engager leurs armes à une
diversion affin qu’ilz puissent moings résister à celles dudict Roy.
Lesdicts Sieurs Plénipotentiaires sçauront aussy que comme Sa Majesté n’a
rien plus à cœur que le restablissement des affaires d’Allemagne, aussytost
que Graveline a esté pris, il a ordonné à Monsieur le Duc d’Anghien de
passer avec les meilleures troupes de son armée vers Brisack sans bagage
ny canons, affin qu’il fasse plus de diligence pour surprendre s’il est possible
l’armée de Bavière qui est au siège de Fribourg, et conjoinctement avec celle
de Monsieur le Maréschal du Turenne la combattre sy Dieu permet que
l’armée de Bavière ne soit pas retirée. Il semble qu’on puisse conclure qu’il
luy veuille donner quelque mortiffication et relever de tous costéz la gloire
et les advantages des armes du Roy, qui n’ont autre but que de contraindre
les ennemys à consentir à l’establissement de la paix dans la Chrestienté pour
pouvoir mieux tourner toutes noz pensées à ce qui sera de la plus grande
gloire de Dieu qui void le fondz des cœurs, cognoist de quelle ardeur est
remply celluy de la Reyne et des ministres qui ont l’honneur de la servir pour
l’accomplissement d’une œuvre sy saincte, dont Sa Majesté peult avoir grande
confiance qu’il luy plaira continuer à bénir ses desseings.
Depuis ce mémoire escript jusques icy, on a considéré que ce n’est pas tant
la lettre qu’ont escripte lesdicts Sieurs Plénipotentiaires qui desplaist aux
ministres d’Austriche, comme l’effect qu’elle a produict dans l’esprit des
Allemandz, car encores qu’à la vérité ilz en eussent peu retrancher quelque
chose en considération seulement du lieu où ilz l’ont escripte et pour la
qualité qu’ilz portent d’Ambassadeurs de paix, il est certain néantmoings
que la conduicte de noz ennemys avant le commancement et depuis la guerre
avoit donné lieu de dire beaucoup d’aultres choses que lesdicts Sieurs Pléni-
potentiaires ont laissées pour ne pas aigrir davantage. Et en effect il n’y a
personne qui ne voye que mesme sans cette lettre, sy les Impériaux eussent
recogneu inclination aux Princes et villes d’Allemagne d’envoyer leurs
députtéz à l’assemblée, ilz en auroient eu tous le mesme sentiment et auroient
procuré sans doubte d’en empescher l’effect soubz quelque autre prétexte.
Lesdicts Sieurs Plénipotentiaires prendront garde que peult estre seroit il
plus à propos de se contanter de la lettre que le Roy escript et qu’eux ne
réplicassent rien à la proposition de l’Empereur, accompagnant seulement
la lettre de Sa Majesté d’une des leurs fort modérée, où ilz tesmoignassent
qu’encores qu’il leur fust bien aisé en se déffendant de faire toucher au doigt
à un chacun qu’ilz ne debvoient pas estre traittéz de la sorte, que néant-
moings préfférant le bien de la paix à toute autre considération, ilz ont mieux
aymé souffrir qu’en faisant une responce telle que la raison voudroit, courre
fourtune qu’on prist prétexte de s’aigrir davantage pour différer ou apporter
de nouveaux obstacles au commancement de la négotiation. Qu’ilz ont pris
cette résolution pour se conformer à la modération qu’a gardée Sa Majesté
elle mesme et parce qu’ilz sçavent bien que leur patience ne sera pas imputée
à foiblesse dans un temps où Dieu comble de toutes sortes de prospéritéz
et de gloire les armes de leur maistre, mais plustost au désir extrême qu’a Sa
Majesté de n’obmettre rien pour establir un repos asseuré à la Chrestienté.
On remet ausdictz Sieurs Plénipotentiaires de prendre de ces deux partys
celuy qu’ilz estimeront le plus à propos. On veult seulement leur dire qu’on
estime beaucoup plus convenable pour plusieurs raisons qu’ilz ne s’engagent
pas de nouveau à réplicquer en leur nom aux propositions de l’Empereur,
mais plustost de le faire soubz celluy d’une personne tierce, l’effect que doibt
produire nostre responce devant concister principalement en la force des
raisons et non pas en la forme qu’elles seront représentées, outre que par ce
biais il semble que nous ostons aux Impériaux le moyen qu’ilz cherchent de
pouvoir rompre l’assemblée avec un prétexte apparemment plausible, à quoy
ilz se porteroient infalliblement, voyans qu’il n’y auroit point d’autre voye
d’empescher la venue à Munster des députtéz et villes d’Allemagne.
En ce cas, sy lesdictz Sieurs Plénipotentiaires prenent cette voye, il semble
qu’affin que les Allemandz ne laissent pas d’estre informéz de ce qu’ilz
eussent pu leur représenter, ilz pourroient dresser un escript en langue latine,
affin qu’il ayt plus de cours dans l’Allemagne, soubz le nom d’une personne
tierce qu’on pourroit intituller advis ou examen d’un Allemand désintéressé
sur la lettre circulaire des Plénipotentiaires de France et sur les propositions
faittes ensuitte à la diètte de Francfort par l’Empereur, qu’ilz pourroient
faire imprimer en cachette en Hollande par le secrétaire Brasset, et mesmes
affin qu’il eust plus de force paroissant plus désintéressé, on pourroit luy
faire condamner en quelque chose la lettre circulaire desdicts Sieurs Pléni-
potentiaires.