Acta Pacis Westphalicae II B 3,2 : Die französischen Korrespondenzen, Band 3, 2. Teil: 1646 / Elke Jarnut und Rita Bohlen unter Benutzung der Vorarbeiten von Kriemhild Goronzy mit einer Einleitung und einem Anhang von Franz Bosbach
On ne s’estoit pas trompé icy dans la croyance que l’on avoit eue qu’à mesure
que le temps de la campagne approcheroit, les Espagnolz voyans continuer
nostre fermeté relascheroient de la leur, et iroient se mettans peu à peu à la
raison, notamment quand l’Empereur commenceroit à condescendre à la sa-
tisfaction prétendue par les deux couronnes et qu’ils le verroient disposé de
passer oultre à la conclusion de la paix dans l’Empire sans les
s’ils n’avoient en mesme temps convenu avec nous de leur accommode-
ment.
Sa Majesté recognoist bien que la prudence et l’addresse de Messieurs les Plé-
nipotentiaires ont beaucoup contribué à mettre les choses au poinct qu’elles
sont, et en a aussy les ressentimens qu’ilz peuvent désirer. Et à la vérité sy les
Espagnolz nous ont offert le Roussillon, et la pluspart de nos conquestes de
Flandres lorsqu’il pouvoit leur rester beaucoup d’espérance que les ressortz
qu’ilz font jouer pour traverser la paix dans l’Empire en empescheroient la
conclusion, il est vraysemblable qu’ilz s’avanceront bientost à nous faire de
plus grandes ouvertures et plus advantageuses à cette couronne dès qu’ilz ver-
ront que le poinct de Brisac qui à nostre esgard décide l’accord dans l’Allema-
gne nous est asseuré par le consentement que l’Empereur y donnera ainsy
qu’il est à présumer de la dernière lettre que monsieur le nonce a receue de
monsieur de Bavières dont on joint icy coppie traduicte de l’italien et de
beaucoup d’aultres advis conformes que nous avions receuz cy-devant.
Et comme apparemment le traicté auquel on travaille à l’assemblée généralle
est dans sa crise, Sa Majesté affin que lesdicts Sieurs Plénipotentiaires ne man-
quent d’aulcunes des lumières qui peuvent le mieux régler leur conduicte a
jugé à propos de leur faire dresser comme un plan de l’estat où toutes choses
se treuvent présentement, et de les informer non seulement de l’estat de ses
forces en tous les endroictz où ses armes doibvent agir, mais de leur commu-
nicquer avec sa confiance accoustumée tous les desseins les plus cachez que
l’on a méditez, ainsy qu’ilz le verront par un mémoire cy-joinct duquel ilz
recommanderont soigneusement le secret à celuy de leurs secrétaires qui le
deschiffrera.
Tous ces préparatifs que lesdicts Sieurs Plénipotentiaires verront estre grands
et qui sans se trop flatter nous peuvent faire espérer des succès advantageux
contre les Espagnolz, nottament sy les affaires de l’Empire s’accommodent, et
que les armes de l’Empereur se tournans contre le Turc, monsieur de Turenne
puisse agir dans les Pays-Bas, n’empescheront pas que l’on ne consente à la
paix sy on la peult avoir aux conditions qui ont esté mandées, et que nous ne
fassions en un moment cesser avec grand plaisir toutes les hostillitez pour
faire un peu respirer la chrestienté des maux qu’elle souffre et pour songer
aux moyens de mieux résister à l’ennemy commun. Cependant on a voulu
représenter tout ausdicts Sieurs Plénipotentiaires avec ingénuité et confiance
affin qu’ilz sçachent que moralement parlant on ne court aulcune risque d’in-
cister avec fermeté à vouloir tirer entièrement des Espagnolz les choses qu’on
a demandées pour conclurre l’accommodement puisqu’aussy bien nous ne
gaignerions pas mieux leur affection en nous relaschant qu’en tenant bon,
comme il a souvent esté mandé; et par conséquent nous avons d’aultant plus
d’intérest de les affoiblir et de nous accroistre qu’ilz demeureront moins en
estat de nous faire le mal qu’ilz vouldroient et penseront moins à rebrouil-
ler.
Sa Majesté n’a pas seulement approuvé toutes les responces que lesdicts Sieurs
Plénipotentiaires ont faictes en son nom aux offres que les médiateurs leur
avoient portées de la part des ministres d’Espagne, mais elle a encore loué au
dernier point toute leur conduicte et leur addresse.
Elle a surtout esté bien aise d’apprendre l’approbation qu’a eue dans l’assem-
blée l’ouverture d’une trêve pour la Catalogne et pour le Portugal, et que noz
parties et les médiateurs ne l’ayent pas seulement prise pour une marque que
la France ne veult point de paix avant la campagne, ce qui servira sans doubte
de beaucoup à les faire avancer pour la conclurre, mais qu’elle leur ayt faict
juger que cette couronne a ses pensées tournées du costé de l’Espagne et [que]
son but pourroit bien estre d’y fomenter une guerre intestine en affermissant
les affaires de la Catalogne et du Portugal par une trêve. L’impression qu’ilz
en auront prise si elle continue, est le moyen le plus propre pour les faire
tumber dans le parti de l’eschange des Pays-Bas s’ilz ont jamais esté capables
de s’y porter. En tout cas, pour se rachepter de cette servitude, et pour avoir
un pays qui leur est si important et dont avec grande raison ilz treuvent la
perte si sensible, il est à croire que dès qu’ilz se verront tout à faict exclus de
nous en faire sortir par un traicté qu’il ne leur en couste quelque pièce en un
aultre endroict, comme d’ailleurs ilz doivent avoir perdu l’espérance de nous
en chasser par les armes ny par les intelligences qu’ilz taschent d’entretenir
parmy les peuples, ilz songeront plus qu’ilz n’ont faict jusqu’icy au seul
moyen qui semble leur rester de rentrer dans ladicte province, qui est de nous
en donner récompence ailleurs. Ce que vraysemblablement ilz aymeront
beaucoup mieux, que [de] nous en laisser affermir la pocession pendant une
longue trêve, après laquelle mesme le Roy estant majeur ilz seroient en pires
termes pour espérer par aucun moyen de la recouvrer.
Ce qui donne icy beaucoup de peine, c’est la manière d’en conduire la négo-
tiation jusqu’à l’entière exécution de ce dont on pourra convenir sans qu’il
puisse nous en arriver aulcun inconvénient sy les Espagnolz comme il est
tousjours à craindre d’un ennemy usoient de mauvaise foy, et avoient moyen
de faire voir aux Catalans que la France consent à les abbandonner pour en
tirer des advantages en d’aultres endroictz, parce qu’aultrement nos troupes
seroient exposées à y courre quelque grande fortune, et sy l’Espagne venoit à
remettre le pied dans le pays par un semblable moyen, nous n’aurions ny ce
qu’on auroit stipulé de nous donner en eschange, ny peult-estre la paix.
On a mandé cy-devant à diverses fois beaucoup de choses ausdicts Sieurs Plé-
nipotentiaires touchant la façon de se conduire en cette affaire de la Catalo-
gne, et les précautions que l’on peult prendre pour ne pas tumber dans les
pièges que les ennemis pourroient nous y tendre, et il sera bon qu’ilz fassent
parcourir leurs despesches pour s’en raffraischir la mémoire et pour s’en pré-
valloir selon les résolutions qui se prendront.
Il semble qu’on ne peult ajuster ce point qu’en trois manières:
L’une sy les Espagnolz acceptent la suspension d’armes en la forme qu’elle
leur a esté proposée, c’est-à-dire de la durée de celle de Messieurs les Estatz, à
quoy la nécessité de leurs affaires qui est extrême et la crainte d’empirer encor
leur condition s’ilz laissent agir les armes cette campagne, pourroient bien à la
fin les faire résouldre, particulièrement s’ilz ne voyoient nulle espérance de
nous faire relascher à aulcun aultre tempérament.
En ce cas nous n’avons quasy besoin d’aulcune précaution envers les Catalans
que de celle que nous avons desjà commencé à prendre, qui est d’appeller
leurs députez et leur faire gouster la chose par des raisons de leur advantage
qui facent forte impression dans leur esprit. Ce point estant bien affermy il
nous resteroit seulement de nous parer des artiffices d’Espagne par l’expé-
dient que les Catalans tesmoignent eux-mesmes désirer ainsy que lesdicts
Sieurs Plénipotentiaires verront dans le mémoire cy-joinct qu’ont donné don
Jospeh d’Argenne
la trefve le commerce entre la Catalogne et les peuples voysins qui obéissent à
l’Espagne, affin d’oster aux Castillans la facilité qu’ilz auroient aultrement
d’entretenir des correspondances parmy eux et d’y former des caballes. Il
fauldroit seulement en ce cas prendre garde que cette trêve se faisant de la
durée de celle de Messieurs les Estatz nous ne fussions pas néantmoins obli-
gez sy pendant sa durée nous avions accommodé l’affaire par quelque es-
change ou aultrement, de rentrer après en guerre conjoinctement avec lesdicts
Sieurs Estatz quand le temps de leur suspension seroit expiré, mais seulement
de leur fournir les assistances dont on conviendra.
La seconde manière d’accommoder cette affaire seroit celle qui est estendue
au long dans l’addition à l’instruction desdicts Sieurs Plénipotentiaires du 22 e
novembre dernier
Zusatzinstruktion vom 23. XI. 1645, Druck: APW [II B 2 nr. 267] .
domination d’aulcune des couronnes, mais soubs la protection de toutes deux,
sur quoy on se remet à ce qui est amplement contenu dans ladicte instruc-
tion.
La 3 e manière seroit de convenir d’un eschange de la Catalogne avec d’aultres
pays ou avec quelques places qui fussent ailleurs à nostre bienscéance, et cela
estant une fois arresté, il fauldroit songer aux voyes pour l’exécution, lesquel-
les certainement sont très malaisées à treuver pour estre bonnes et seurres à
nostre esgard. Et à la vérité plus on y pense et moins on en rencontre qui
puissent entièrement nous satisfaire, et dans lesquelles il n’y ayt tousjours
quelque risque à courir et beaucoup d’inconvéniens à appréhender par la ma-
lice des Espagnolz qui doibt agir sur une matière sy propre que la légèreté et
la férocité des Catalans.
On a pensé icy entre aultres expédiens principalement à deux que l’on dira
ausdicts Sieurs Plénipotentiaires affin qu’ilz examinent ensemble ce qui leur
paroistra le meilleur et qu’ilz en mandent leurs sentimens à Sa Majesté s’estu-
dians aussy de leur costé à en treuver affin qu’on puisse après choisir celuy
qui paroistra le moins mauvais, estant tout ce qui se peult dans une affaire sy
espineuse et sy délicate, ou bien sy les affaires pressent ilz résouldront sur les
lieux tout ce qu’ilz jugeront plus à propos, adjoustans ou diminuans à nos
pensées, ou prenant telle aultre voye qu’ilz croyront la plus propre, Sa Majes-
té se reposant sur leur prudence, non pour les rendre garends des événemens,
mais parce qu’elle est asseurée qu’ilz n’oublieront rien pour le bien de son
service, et qu’ilz ont tout le zèle et la capacité qu’il fault pour cela.
L’un seroit, après estre d’accord de nostre récompence avec les Espagnolz, de
dire franchement dès à cette heure aux Catalans ce qui est contenu au long
dans l’addition susdicte à l’instruction desdicts Sieurs Plénipotentiaires, la-
quelle ilz auront soin de reveoir pour cet effect, qui estoit en substance leur
faire cognoistre qu’il ne tient plus qu’à leurs intérestz que la paix généralle ne
soit conclue; que tous les aultres poinctz sont ajustez; qu’il n’y a que celluy de
la Catalogne qui paroist inaccommodable parce que les Espagnolz déclarent
de voulloir plustost perdre tout le reste que de signer jamais un traicté par
lequel ilz ne rentrent dans la pocession dudict pays.
Que les princes d’Italie et ceux qui jusqu’icy ont esté indifférens sont sur le
poinct de s’unir contre nous; que noz alliez mesme qui sont las de la guerre et
qui sont desjà d’accord de la paix à des conditions extrêmement advantageu-
ses pour eux, ne menacent pas seulement de nous abbandonner, mais de nous
tumber sur les bras eux-mesmes sy nous nous oppiniastrons sur ce seul point
à continuer la guerre puisque d’ailleurs les Espagnolz nous offrent tout ce que
l’on peult désirer pour l’indemnité et la seureté des Catalans.
Que tout cela n’est pas capable d’esbranler la constance de Leurs Majestez à
protéger et à conserver la Catalogne jusqu’au bout, qu’elle continuera avec la
mesme chaleur et affection qu’elle a faict jusqu’icy.
Mais que Leursdictes Majestez se treuvent obligées de leur mettre en considé-
ration l’estat de toutes choses et les inconvéniens ausquelz nous serions expo-
sez sy ceux qui nous secondent maintenant se tournoient contre nous et qu’il
fallust résister à tant d’ennemis tout à la fois, auquel cas il est évident que
nous ne serions pas en estat de continuer longtemps les mesmes effortz que
nous avons faictz jusqu’icy pour leur deffence, et ainsy, oultre que nous au-
rions perdu l’occasion de leur procurer un accommodement advantageux
avec toutes les précautions nécessaires pour leur entière seureté, il seroit fort à
craindre qu’ilz ne retombassent soubs la domination d’Espagne par la voye
des armes qui est tout dire pour exprimer la dernière des désolations, puis-
qu’ilz seroient à la discrétion de la rage implacable d’un ennemy qu’ilz ont
tant offencé.
Que Sa Majesté les convie d’y songer eux-mesmes et de proposer ce qui seroit
le plus de leur goust et de leur contentement affin qu’on essayast de l’obtenir,
et ainsy on pourroit les disposer avec addresse et insensiblement à retourner
soubs la puissance d’Espagne moyennant les précautions et les seuretez
convenables, et oultre l’amnistie de tout le passé, la confirmation des privilè-
ges et l’augmentation de ceux qu’ilz pourroient raisonnablement prétendre,
on pourroit mesme stipuler que le roy d’Espagne seroit tenu de payer en ar-
gent dans certain temps les biens de quelques-uns qui peult-estre aymeroient
mieux sortir du pays, et aller habiter en d’aultres endroitz.
Il semble qu’y procédant de la sorte on pourroit s’asseurer en quelque façon
que ces peuples ne se porteroient à aucune résolution précipitée, d’aultant
plus qu’estans bien conseillez ilz se garderont tousjours bien d’irriter la
France laquelle seulle peult demeurer pour garend des choses ausquelles s’en-
gageront les ennemis. Et quand les Espagnolz n’auroient en cela rien à crain-
dre de nostre costé les Catalans peuvent bien juger que quelque mauvais traic-
tement qu’ilz nous eussent faict pour essayer de regagner l’affection des aul-
tres, ilz n’en sçauroient venir à bout après les extrémitez où l’on est venu de
chasque costé, et qu’ainsy le plus seur pour eux sera tousjours de nous avoir
liez par obligation et par gratitude aussy bien que par intérest à la manuten-
tion de tout ce que les Espagnolz leur auroient promis par nostre entre-
mise.
Le second expédient auquel on a pensé icy seroit que par le traicté qui sera
publié, on convînt d’une trêve pour la Catalogne de la durée de celle de Mes-
sieurs les Estatz avec l’Espagne pendant laquelle on cherchera les moyens
d’accommoder cette affaire, et s’il s’en treuve quelqu’un qui soit de l’entière
satisfaction des peuples, il sera embrassé et non aultrement.
On pourroit faire en mesme temps un article secret par lequel il seroit dict
que nonobstant ce qui est contenu dans le traicté public, que la trêve pour la
Catalogne doibt estre de la durée de celle de Messieurs les Estatz néantmoins
on demeure d’accord de faire l’eschange de cette principauté avec tel aultre
pays ou places dont on sera pour lors convenu, et que ledict eschange s’ac-
complira fidellement de part et d’aultre, cinq ou six mois après les aultres
poinctz de la paix exécutez, bien entendu que le roy d’Espagne s’obligera à
l’amnistie de tout le passé, et à ce qui est plus particulièrement spéciffié cy-
dessus d’observation voire d’augmentation de privilèges, et de faire payer en
argent les biens de ceux du pays qui s’en voudroient retirer.
Il fauldroit seulement songer que cet article secret demeurast en main tierce
confidente à l’un et à l’aultre party pour oster aux Espagnolz tout moyen de
s’en prévalloir contre nous auprès des Catalans, et il seroit mesme fort bien
s’il estoit possible de cacher la chose aux médiateurs, se servant de quelque
personne confidente qui pourroit se rendre agréable à Peneranda par l’ouver-
ture et le secret d’une chose qu’il désire passionnément, et en ce cas sy ledict
Peneranda agit sincèrement, nous n’aurions pas tant à craindre que la chose
fust descouverte que sy elle avoit esté communicquée à beaucoup de person-
nes, nous pourrions mesmes stipuler de n’estre tenuz à rien, en cas que par
quelque accident l’affaire fust divulguée, ce qui serviroit à tenir d’aultant plus
en bride Peneranda, et ce qui auroit esté convenu estant exécuté, la personne
qui auroit en main cet article secret nous le remettroit sy nous le désirions
quoyqu’à la vérité après la chose faicte entre les bénédictions que nous au-
rions de toute la chrestienté les Catalans mesmes seroient raviz du repos as-
seuré que la France leur auroit procuré. Enfin il semble qu’il n’est nécessaire
d’estre alerte que pendant le traicté; car après cela nous ne devons craindre les
reproches de qui que ce soit puisque les Catalans mesmes y treuveront les
premiers leur compte advantageusement.
Voylà les deux partiz ausquelz on a pensé icy, et lesdicts Sieurs Plénipoten-
tiaires remarqueront que le premier est rendu inutile dès que la suspension
sera faicte ou qu’il paroistra qu’elle est arrestée parce qu’alors nous ne serons
plus en termes de pouvoir dire aux Catalans que nos alliez nous forcent, ny
que rien nous contraigne à céder leur pays que la pure volonté de les remettre
à leur premier maistre.
Il ne peult guères se rencontrer d’affaire plus chatouilleuse et où il faille mar-
cher avec plus de circonspection; sy on n’y apporte point de facilité, il est
certain que l’on esloigne la paix, pour peu aussy que l’on y en apporte, on la
recule peult-estre davantage par les résolutions extrêmes où les Catalans peu-
vent se précipiter contre nous, qui sans doubte osteroient ensuite aux Espa-
gnolz les dispositions qu’ilz ont aujourd’huy à conclurre la paix, lesquelles ne
procèdent quasy que de la passion extraordinaire qu’ilz ont de rentrer dans
cette principaulté; mais peult-estre la France aura tant de bonheur que la pru-
dente conduicte et fermeté de Messieurs les Plénipotentiaires dans un temps
où noz affaires prospèrent de tous costez produira le consentement des enne-
mis à la proposition que nous avons faicte d’une trêve de la durée de celle de
Messieurs les Estatz, et ainsy nous sortirions heureusement et sans rien crain-
dre d’un poinct qui nous donne tant d’embarras.
On a mandé en ce lieu l’ambassadeur de Cataloigne et le docteur Marti qui a
esté choisy à Barcelonne en suite des ordres du Roy comme une personne
intelligente à qui on pust communicquer à la cour ce qui se passera dans la
négotiation de Munster qui les concerne, et qui pust informer aussy Sa Majes-
té des sentimens de ses supérieurs en toutes occurrences.
Monsieur le cardinal Mazarin les a tous deux entretenuz au long en celle-cy.
Il leur a dict la proposition que Messieurs les Plénipotentiaires ont faicte à
l’assemblée d’une trêve pour la Catalogne de la durée de celle de Messieurs les
Estatz pendant laquelle on cherchera les moyens d’accommoder tout s’il est
possible avec satisfaction commune, ce qu’il a adjousté quoyqu’il n’en ayt
point esté faict mention à Munster, affin que sy on convient de quelque es-
change ilz ne puissent pas raisonnablement se plaindre qu’on leur ayt celé
quelque chose.
Il leur a dict en oultre les raisons pressantes qu’on a eues d’en user de la sorte
pour n’attirer pas à cette couronne le blasme et la hayne de toute la chrestien-
té, et que pendant qu’elle a si grand besoin de repos et d’union pour s’opposer
aux progrès de l’ennemy commun, nous traictassions avec tant de haulteur et
de dureté que de vouloir forcer le roy d’Espagne de renoncer dès à présent par
un traicté à tous les droictz et à toutes les prétentions qu’il a sur un Estat dont
le changement est encore sy récent, et où il possède mesmes trois places des
plus considérables .
Il leur a faict sçavoir aussy l’aigreur avec laquelle les Espagnolz en ont receu
l’ouverture, et combien ilz se sont emportez voyant que soit soubs le nom de
paix ou de trêve la France est tousjours résolue à se maintenir dans la poces-
sion de la Catalogne.
Pour conclusion, ces deux députez sont demeurez très persuadez de tout ce
que nous pouvons souhaitter et mesme de la responce qu’ilz ont faicte sur-
le-champ nous pouvons tirer deux conséquences très bonnes:
L’une que la proposition de trêve ne les a nullement surpris, et qu’il fault que
ces peuples-là s’y fussent attenduz, et par conséquent qu’il n’est pas à craindre
qu’ilz se portent là-dessus à aulcune extrémité parce que d’abord don Jozeph
d’Argenne a dict avoir ordre de la députation de demander en ce cas instam-
ment que l’on ne remette point le commerce entre les Catalans et les aultres
pays de la domination du roy d’Espagne.
La seconde est que cette instance estant contre leur propre intérest puisqu’il
n’y a nul doubte qu’ilz ne tirassent beaucoup d’advantage du restablissement
du commerce, on en peult inférer qu’ilz marchent aussy droict qu’il se peult
dans le service de Sa Majesté et n’ont nullement leurs pensées tournées vers
l’Espagne.
Ledict don Joseph partit hyer en poste pour s’en retourner, et oultre le
compte qu’il rendra sur les lieux de ce qu’on luy a dict, on escript au long à
monsieur le comte d’Harcour sur le mesme subjet affin qu’il soit informé de
ce qui se passe, et qu’il ayt moyen de s’en prévalloir pour le service de Sa
Majesté, et de se garentir des machines que les ennemis pourroient en cette
occasion mettre en jeu dans le pays pour nous y nuire.
On est icy en quelque peine que la distinction que nous avons faicte de Roses
qui n’est pas du comté de Roussillon, et que nous n’avons néantmoins pas
voulu comprendre dans la suspension qui a esté proposée pour toute la Cata-
logne, ne puisse par l’artiffice des ennemis produire quelque mauvais effect
parmy les Catalans s’ilz leur suggèrent comme il est à craindre qu’ayant des-
sein de nous asseurer dès à présent cette place par la paix, nous faisons veoir
bien évidemment qu’on ne se soucie guères de tout le reste pour lequel l’on ne
demande qu’une trêve. On essayera s’il est nécessaire de faire comprendre à
ces peuples-là que ce n’est qu’une question que l’on a faicte à noz parties pour
nous esclaircir s’ilz n’entendoient pas comprendre Roses dans l’offre qu’ilz
nous font de la comté de Roussillon, et sy ce point n’est desjà ajusté quand ce
mémoire sera rendu ausdicts Sieurs Plénipotentiaires, on leur met en considé-
ration sy à cause des fascheuses conséquences que les Catalans en peuvent
tirer, il ne seroit point à propos de n’en faire plus d’instance, mais de demeu-
rer d’accord que ladicte place soit comprise dans la trefve de la Catalogne,
bien entendu que l’on ne conviendra jamais ny d’eschange ny de restitution
dudict pays, qu’elle ne demeure à la France par le mesme tiltre que le comté
de Roussillon.
On a esté bien aise de sçavoir que les ministres de Portugal ayent commencé
d’entendre raison et de comprendre que s’ilz obtiennent une trêve dans ce
traicté c’est tout ce qu’équitablement ilz peuvent prétendre et espérer dans
une mutation sy récente.
Il fauldra tascher d’obtenir ladicte trêve de la durée de celle de Messieurs les
Estatz ou de quatre ans avec obligation au roy d’Espagne de la prolonger au cas
que la guerre du Turc contre la chrestienté durast au-delà du terme qui sera
convenu. Il est à croire que Contarini pour l’intérest qu’y a sa républicque fera
volontiers ses effortz pour y faire adjouster cette dernière condition.
Quand on escrivit cet hyver passé ausdicts Sieurs Plénipotentiaires sur l’es-
change de la Catalogne avec les Pays-Bas on leur manda entre autres choses
que comme nous n’estions obligez à rien envers le roy de Portugal qu’à ce que
requéroient la bienscéance et la raison d’Estat, l’on pourroit se relascher dans
ses intérestz pourveu que nous en retirassions quelque grand advantage d’ail-
leurs comme auroit esté de disposer les Espagnolz à faire ledict eschange de la
Catalogne avec les Pays-Bas.
Mais on ne vouldroit pas que lesdicts Sieurs Plénipotentiaires sur ce fonde-
ment se relaschassent dans les affaires de Portugal, à moins que d’en rapporter
cet advantage ou quelqu’aultre bien considérable. Car du reste il n’y a nul
doubte qu’il n’importe plus à la France dont le véritable intérest conciste à
abbaisser la puissance de la maison d’Austriche, de laisser bien affermir le roy
de Portugal qui luy cause une si notable diminution, et qui pourra faire tous-
jours grande diversion de ses forces que d’avoir elle-mesme deux ou trois pla-
ces plus ou moins, de sorte qu’il semble que Sa Majesté ne devroit pas faire
difficulté de relascher quelque chose de ses prétentions sy l’Espagne veult
consentir à une trêve avec le Portugal de la durée de celle de Messieurs les
Estatz pourveu que l’on pust prendre de suffisantes précautions pour s’asseu-
rer qu’elle seroit fidellement exécutée jusqu’au bout du terme.
On fera remarquer en passant ausdicts Sieurs Plénipotentiaires que La Bassée
est tenue icy estre de l’Artois, et que toutes les meilleures cartes et les autheurs
qui en ont escript la comprennent dans cette comté.