Acta Pacis Westphalicae II B 2 : Die französischen Korrespondenzen, Band 2: 1645 / Franz Bosbach unter Benutzung der Vorarbeiten von Kriemhild Goronzy und unter Mithilfe von Rita Bohlen
Le mesme jour que l’on pensoit de faire partir ce courrier pour porter le
mémoire du Roy à messieurs les plénipotentiaires , j’ay receu un advis de
Vienne d’une personne très bien informée qui en d’aultres occasions
importantes nous a advertiz à point nommé et qui a grande entrée dans la
maison de Trautmandorff et avec ses secrétaires. Et le jour suivant j’en ay
vu un autre du cardinal Grimaldy, et comme tous deux sont de conséquen-
ce on a retardé le départ du courrier jusqu’à ce que ce mémoire fust faict et
mis en chiffre. Le cardinal Grimaldi me mande qu’il avoit sceu de bon lieu
que la maison d’Austriche espéroit de venir bientost à bout de quelque
accommodement avec la couronne de Suède par l’entremise du duc de Saxe,
et que le cardinal Barberin avoit receu une lettre du duc de Bavières où il
parle de ce qui s’estoit passé entre la France et luy, et finit par ces termes
qu’elle recognoistroit bientost sy les Suédois avoient la mesme délicatesse à
ne vouloir rien escouter ny conclurre séparément, voylà pour ce qui est de
Rome.
De Vienne, on me mande que le comte de Penneranda avoit escript en
grand secret à Trautmandorff que le sieur de Rosenhan résident de Suède à
Munster luy avoit faict tenir de tels discours touchant l’accommodement
des Suédois avec l’Empereur sans la France, qu’il croyoit que poussant la
négotiation avec adresse dans cette conjoncture il s’en pourroit retirer de
très grands avantages pour la maison d’Austriche. La substance de ce
discours dudit Rozenhan à ce que me mande ce correspondant de Vienne,
conciste en ce qu’estant notoire à tout le monde comme la France traicte
sans la couronne de Suède d’un accommodement avec Bavières et avec les
électeurs catholicques, ledit Rosenhan s’estonnoit que l’Empereur ne se
prévalust d’une sy belle occasion pour proposer à la couronne de Suède des
partiz raisonnables, parce que certainement elle seroit ravie de prévenir les
François s’estant bien apperceue de leur ambition démesurée, et qu’ilz ne se
servoient de leurs alliez que comme des instrumens pour parvenir à leurs
fins sans se soucier aulcunement des intérestz de Suède, se plaignant ensuite
que la France ne gardoit pas la foy des traictez que nous avons ensemble,
qu’elle ne songeoit en aucune façon aux intérestz du prince Palatin, qu’elle
ne leur payoit pas le subside qu’elle est obligée de leur fournir annuelle-
ment, qu’après tout il estoit bien aisé de veoir que cherchant de nouvelles
alliances elle avoit pour but de mettre ses affaires en estat de se passer de la
leur, adjoustant à tout cela que l’intérest de la couronne de Suède estoit que
l’Empire ne sortist point de la maison d’Austriche, que les François ne
prissent pas pied en Allemagne, et que la personne de l’Empereur
d’aujourdhuy comme estant très accomplie et remplie de bonnes qualitez
estoit fort aymée dans la Suède. Enfin que ce n’estoit pas les Suédois seulz
qui voyoient accroistre de jour à aultre la puissance de ce royaume, mais
que l’Angleterre, la Hollande et le Dannemark concevoient les mesmes
jalousies de sa grandeur. Que là-dessus le comte de Peñeranda ayant voulu
sçavoir quelles prétentions auroit la Suède pour la paix, ledit Rosenhan luy
avoit faict respondre que pourveu qu’on laissast à la Suède la Poméranie et
que les roys de Suède fussent recognuz pour princes de l’Empire comme est
le roy de Dannemarck, elle seroit contente pour sa satisfaction particulière,
et qu’ensuite ledit Rosenhan devoit veoir en secret ledit Peñeranda pour
entrer dans la matière plus à fondz.
On me mande de plus que cet advis avoit faict grande impression dans
l’esprit de l’Empereur et de ses principaux ministres qui avoient tous cru
que donnant cognoissance de cela au duc de Bavières et aux autres qui
avoient introduict quelque négotiacion avec la France, ce seroit un vray
moyen de les en faire retirer voyant qu’il y avoit d’autres voyes plus
promptes et plus honorables pour mettre à couvert leurs intérests sans
rechercher cette couronne ny recevoir la loy d’elle. Il adjouste qu’il y avoit
grand subjet de croire que cecy a esté le principal fondement de la
résolution qui a esté prise d’envoyer Trautmandorff à Munster, lequel
auroit pouvoir en main de conclurre en une heure toutes les affaires avec les
Suédois et qu’eux estans une fois contens, ils faisoient estat de se servir de
leur entremise pour faire consentir les protestans à des conditions raison-
nables. La conclusion de celuy qui m’escript tout ce que dessus est que
comme il est en pocession de recevoir quelques présens lorsqu’il donne
quelque advis bien important qui se treuve véritable, il est asseuré que l’on
n’y manquera pas à présent, qu’il n’y a rien de plus certain que ce qu’il
mande, et d’aultant plus qu’il luy couste beaucoup en ces cours-là pour
maintenir les habitudes qui luy donnent lieu de descouvrir de semblables
affaires.
Voylà en quoy concistent les advis, et il semble que Dieu pour continuer
ses grâces à Leurs Majestez a permis qu’elles en ayent esté informées en
mesme temps de deux sy différens endroictz, affin qu’en ayant plus de
lumière et de certitude elles songeassent mieux aux moyens de se garentir
d’une telle surprise. C’est pourquoy il sera bien à propos Messieurs que
vous soyés doresnavant plus alertes que jamais à examiner la conduicte et
les moindres pas des ministres de Suède et particulièrement dudit résident.
Comme nous tenons cet advis certain, aussy est-il de telle importance qu’il
est très malaisé qu’un ministre notamment subalterne s’il a quelque sens
commun fust allé sy avant de son chef et par conséquent la prudence veult
qu’on conclue qu’il en a eu l’ordre de ses supérieurs. Il est vray que les
fondemens que ledit résident prend pour se plaindre de la France sont sy
faux que les Suédois mesmes esprouvans le contraire chaque jour n’oze-
roient, je m’asseure, nous le désavouer puisqu’il est constant pour ne pas
faire la moindre chose qui puisse blesser la franchise, nous laissons
eschapper bien souvent de très grandz avantages et nous exposons à des
dommages manifestes. Ainsy s’il doibt y avoir des subjetz de plainte, c’est
nous certainement qui en avons de très légitimes. En effect vous sçavez
Messieurs sy on est contraire au prince Palatin, sy on mesprise les Suédois,
sy on a eu la pensée de s’accommoder avec le duc de Bavières et les
électeurs catholicques sans leur sceu et sans leur consentement, et sy on
retarde le payement du subside à la couronne de Suède puisque cette année
on l’a avancé de trois mois. Mais il se peult faire qu’encor que les Suédois
sçachent bien dans leur âme que c’est la France qui a juste occasion de se
plaindre de leur conduicte, et eux de se louer de la nostre au dernier poinct,
néantmoins que pour colorer dans le monde la pensée qu’ilz ont de
s’accommoder avec l’Empereur sans nous sçachant d’en retirer de plus
prompts et de plus grands avantages, ilz peuvent avoir forgé des prétextes
plausibles pour ceux qui ne peuvent pas estre informez du détail affin de
faire croire que ce qu’ilz font pour leur proffit et pour leur intérest
particulier n’est que pour les mauvais procéders que cette couronne tient
envers eux.
Je ne vouldrois pas conclurre que le voyage de Trautmandorff ayt esté
résolu pour ce subjet, puisque les advis que l’on reçoit de beaucoup
d’endroitz portent que l’Empereur a donné cela aux instances du duc de
Bavières auquel nous savons que ledit Trautmandorff a esté tousjours
attaché d’affection en soustenant ses intérestz en toutes rencontres où les
Espagnolz et à leur instigation quelques ministres de l’Empereur ont
entrepris de luy faire du mal. Il se peult aussy qu’encores que la première
intention de l’Empereur ayt esté de l’envoyer à la prière du duc de Bavières
pour mettre la dernière main à la paix en accordant les satisfactions que la
France et la Suède prétendent, néantmoins que treuvant sur le tappis cette
négotiation dans laquelle il croiroit rencontrer plus d’utilité pour son
maistre, il vouldra essayer avant toutes choses de veoir ce qu’il en pourra
retirer par ce chemin. Mais vous autres Messieurs vous en appercevrez sans
doubte bientost par la cognoissance que je vous en donne et par les soins
que vous aurez agréable d’apporter pour esclaircir la vérité de cette
affaire.
Car quoyqu’il puisse estre qu’après le voyage de monsieur le duc de
Longueville à Oznabrug dans lequel les ministres de Suède ont avec
tesmoignage de grande satisfaction receu de nouvelles marques de l’entière
confiance et sincérité de nostre procéder que cette négotiation soit rompue
comme il est arrivé de plusieurs autres de cette nature qui on esté entamées
en d’aultres temps sans conclusion, néantmoins il est bien dangereux
d’avoir à traicter avec des gens qui sont si souvent capables d’avoir de
semblables pensées estans tousjours exposez au péril qu’il y a qu’elles ne
produisent à la fin quelques effectz. C’est pourquoy Sa Majesté désire
Messieurs que vous examiniez bien s’il seroit à propos d’approffondir
l’affaire affin que le ministre de Suède estant convaincu de cette négotiation
on pust treuver des moyens d’estre asseuré qu’à l’avenir nous n’eussions
rien à craindre de semblable et de ne plus courre la risque où nous sommes
présentement de veoir l’artiffice et la mauvaise foy récompencée et que
l’innocence et la sincérité souffrent et soient punies estans extrêmement
désavantageux dans le commerce du monde de marcher franchement et
avoir les intentions bonnes avec ceux qui les ayans mauvaises ne songent
qu’à proffiter de cette bonté. Ce seroit un grand poinct de la conviction de
Rozenhan sy on pouvoit prouver qu’il eust veu le comte de Pennaranda
comme il l’aura faict depuis certainement ou sy on descouvroit la personne
dont il s’est servy pour luy faire porter ses parolles.
Avec cela je ne laisse pas Messieurs de vous mettre en considération sy pouvant
convaincre jusques au bout les ministres de Suède, il sera à propos de le faire ou
bien d’en dissimuler une partie, pour leur fournir un moyen de revenir sans
honte à ce qui est de la raison, et affin que le doubte qu’ils pourroient concevoir
que la France ayant sceu leurs pensées ne voulust les prévenir ne les fist
précipiter davantage à la résolution que nous appréhendons sur quoy Sa
Majesté se remet à ce que vous treuverez plus à propos sur les lieux.
La conduicte des Suédois a sy peu correspondu à la nostre, et l’on a veu sy
évidemment le peu de cas qu’ilz font de l’exécution des traictez quand il a
esté question pour eux de quelque utilité que ce n’est pas leur faire grand
tort quand on les soupçonne. Il est pourtant véritable que les maximes du
chancellier Oxenstiern à ce qui nous a paru ont tousjours esté de rejetter au
fonds tous les avantages que les ennemis ont offertz séparément à la
couronne de Suède, et de n’avoir pour but que de faire une paix conjoinc-
tement avec cette couronne, mais il pourroit estre que dans l’absence du
chancellier de la cour de Suède, le party qui regardoit avec quelque jalousie
son authorité, ayt pris plus de forces, et prévalant dans l’esprit de la reyne
de Suède ilz l’ayent induicte à laisser introduire la négotiation d’un
accommodement particulier avec l’Empereur luy faisant cognoistre qu’ilz
auront par cette voye beaucoup plus d’avantages que s’ilz attendent une
paix généralle à cause de la passion extraordinaire que les ennemis ont
d’avoir moyen de se vanger de la France. Il sera assez facile de descouvrir
les sentimens du chancellier Oxenstiern sur ce subjet par le moyen de son
filz qui est à Osnabrug, et s’il se vériffioit qu’il n’eust eu aucune cognoissan-
ce de toutte cette intrigue, on pourroit ce semble conclurre qu’elle a esté
tramée comme il est dict cy-dessus par le party qui luy est contraire. Auquel
cas il pourroit estre que monsieur Salvius s’il a dépendance dudict party
plustost que du chancellier Oxenstiern, ce que je ne sçay pas bien
certainement auroit eu à mesnager la chose et le résident qui est à Munster
en auroit peu entamer par son ordre la négotiation avec les ministres
d’Espagne. Il ne sera pas inutile sur ce subjet de considérer duquel des deux
plénipotentiaires de Suède ledict sieur de Rosenhan dépend davantage et
lequel a plus de confiance en luy. Il sera bon aussy de faire réflection sur
ceux que Rosenhan praticque de plus à Munster, et avec qui il a habitude
qui soit capable de porter ses propositions à Penneranda.
Cependant sy cette négotiation va en avant, il me semble qu’avec les autres
moyens que vous autres Messieurs pourrez treuver ce n’en seroit pas un
mauvais pour la rompre de faire sçavoir adroictement et avec des termes
équivocques à Pennaranda par le moyen des médiateurs, ou que quelqu’un
de vous autres Messieurs le fist cognoistre en parlant à Saavedra, que les
Suédois nous ont tout dict et en mesme temps faire insinuer à ceux-cy que
les Espagnolz nous ont donné eux-mesmes des lumières de cette affaire
affin de porter le Roy à s’accommoder promptement avec eux sans la
couronne de Suède asseurant la Reyne qu’ilz y sont tous disposez et mesme
sy l’Empereur ne veult consentir de le faire sans luy, à quoy vous
adjousterez Messieurs ce que vous croirez estre plus efficace pour rompre
toutes ces praticques et mettre parmy eux tant de deffiance qu’ilz ne
songent plus à l’avenir à aucun traicté de cette nature à nostre préjudice. Il
me semble que les Suédois qui sçauront en leur conscience la vérité de cette
négotiation seront assez confonduz quand on leur protestera qu’encore que
le Roy ayt eu en main de pouvoir s’accommoder avec grand avantage et que
Sa Majesté eust peu le faire avec justice et sans blasme puisque la couronne
de Suède l’a tenté et a voulu séparer ses intérestz d’avec les nostres, Sa
Majesté n’a jamais voulu consentir à aucun accommodement sans eux, et
quoy qui en arrive, percistera tousjours constamment jusques au bout dans
cette ferme résolution quand mesme elle luy devroit couster de demeurer
seule sans alliez et avoir tous les ennemis sur les bras. Il fauldra néantmoins
s’il vous plaist estre extraordinairement vigilans et se servir de tous les
moyens pour empescher que les Suédois n’en viennent pas là, ou s’ilz le
font songer de bonne heure à donner tel ordre que nous n’en recevons que
le moins de préjudice qu’il se pourra. Et pour cet effect il semble que le
mémoire du Roy qui contient tant de différens partiz vous laisse beau
champ de prendre les résolutions que vous jugerez à propos selon que les
occasions le requerront.
Peult-estre que dans une pareille nécessité le duc de Bavières pourroit nous
donner grande facilité de sortir de ce mauvais pas. Il est à croire que il ne
refuseroit pas de s’y employer puisqu’il n’ayme pas les Suédois et qu’il
considère tousjours en premier lieu ses intérestz dans lesquelz nous
pouvons plus l’obliger que qui que ce soit, qu’il ne devroit pas doubter que
nous ne fissions avec grand plaisir puisque oultre les motifs que nous y
convioient par le passé, nous aurions encor celuy d’empescher le mal qui
pourroit nous revenir de cet accommodement particulier des Suédois. Mais
comme il semble que ledict sieur duc seroit le meilleur instrument que nous
pourrions avoir dans une semblable rencontre pour nous en garantir quand
tous les autres moyens que nous aurions tentez auroient esté inutiles, aussy
le remède pouvant estre plus dangereux que le mal par l’événement, il
fauldroit auparavant examiner sy nous devrions nous en servir, et y estans
contrainctz le faire avec grande circonspection et adresse, parce qu’il se
pourroit faire que ledict duc estant informé d’ailleurs de ce qui se passeroit
entre l’Empereur et les Suédois et croyant qu’il ne luy seroit pas advanta-
geux de prendre nostre party, en ce cas-là donnast cognoissance aux
ministres d’Austriche de l’accommodement que nous aurions voulu intro-
duire avec luy, laquelle serviroit à nos ennemis pour porter d’aultant plus
lesdicts Suédois à nous quitter, leur fournissant un prétexte plausible qui
justiffiast leur résolution quoyqu’en effect ilz eussent esté les premiers à
songer de se détacher de nous par un traicté secret.
En oultre sy nous nous résolvions à conclurre une suspension avec
l’Espagne conjoinctement avec Messieurs les Estatz nous n’aurions pas
grand subjet de craindre toutes les forces de l’Empereur quand mesmes
nous serions abandonnez des Suédois. Et comme vraysemblablement il
deppendra de nous de faire ladicte suspension, sy ce n’est que les Espagnolz
en espérance de cette désunion des Suédois d’avec nous, voulussent pousser
de nouveau leur fortune dans la guerre, il sera bien nécessaire que vous
autres Messieurs soyez alertes pour en prendre la résolution selon les
conjunctures sans mesme incister à une trêve de peu de temps avec
l’Empereur dont alors il auroit plus affaire que nous, et pour cet effect on a
escript pressamment à monsieur le prince d’Orange affin qu’il face en sorte
que les députez des Estatz ayent pouvoir de conclurre en un instant la
suspension qu’ilz désirent avec Espagne au cas que l’intérest commun le
requière.
Vous ne vous estonnerez pas s’il vous plaist que l’on vous escrive tant sur
cette matière et de ce que l’on appréhende avec raison un prompt
accommodement de noz ennemis avec un de noz alliez, et nottamment avec
les Suédois parce qu’oultre les advis que je reçois et particulièrement celluy
de Vienne que j’ay grand subjet de croire véritable, la résolution que prist
dernièrement l’Empereur d’envoyer toute sa cavallerie fondre sur nous et
n’en laisser que trois ou quatre régimens contre monsieur Torstenson que
l’on veoid agir sy froidement et à contretemps, sont des considérations
assez puissantes pour nous en donner de justes soupçons, joinct à cela que
nous sommes asseurez qu’il n’y a point de favorable condition que noz
ennemis ne leur proposent ny d’advantage considérable qu’ilz ne leur
offrent pour avoir moyen de les séparer de nous, et que comme il s’est veu
jusques icy que les Suédois n’ont pas eu beaucoup d’esgard à d’aultres
respectz quand il a esté question de leurs intérestz particuliers, il est facile
qu’ilz se laissent persuader quand ilz treuveroient lieu de les mettre à
couvert de ne pas regarder de sy près à ce qu’ilz doibvent à la foy des
traictez et aux marques continuelles qu’ilz ont receues de nostre franchi-
se.
Sa Majesté se remet à vous autres Messieurs d’examiner sy pour en tirer
plus de fruict vous devrez déclarer de quelle façon vous avez sceu la
négotiation qui est sur le tappis et dire la vérité ou bien tesmoigner que
vous l’avez descouverte à Munster mesme en suite des parolles que le sieur
de Saavedra laissa dernièrement eschapper à monsieur Servien, que les
choses changeroient bientost de face lesquelles à la vérité méritent grande
refflection, et quoyqu’il taschast de racommoder la chose d’une autre façon,
on la peult bien prendre pour une confirmation de traicté secret. Sa Majesté
se remet aussy à vous de résouldre la conduicte que vous devrez tenir dans
cette affaire. Sy vous treuverez à propos d’aller tous trois à Oznabrug ou
seulement l’un de vous, sy vous tesmoignez aux Suédois d’estre bien
informez ou seulement de doubter, si vous devrez dire tout ou en réserver
une partie pour s’en ouvrir après selon les conjonctures, et enfin de faire
générallement ce que vous estimerez pouvoir estre plus utile pour rompre, à
quoy Sa Majesté ne désire pas qu’il soit espargné ny soing ny argent. Pour
cet effect sy vous jugez à propos de faire des présens ou distribuer quelque
somme, quand ce ne seroit que pour descouvrir l’estat de l’affaire, le Roy la
tiendra bien employée et la fera ponctuellement rembourcer.
On faict préparer des tappisseries et de l’argenterie pour messieurs Oxen-
stiern et Salvius suivant ce que monsieur le duc de Longueville m’a mandé
qui pourroit leur plaire le plus . Il semble que ce seroit un grand avantage
sy par quelque moyen on pouvoit gagner Rozenhan. Monsieur Salvius que
monsieur d’Avaux cognoist de longue main pourra peult-estre malaisément
se garentir de l’adresse dudict sieur d’Avaux quand il se mettra sur cette
matière luy en parlant comme de soy s’il est jugé à propos.
Que s’il sembloit à vous autres Messieurs que tout ce que l’on peult faire au
lieu où vous estes ne fust pas suffisant pour divertir le coup que nous
craignons, et que vous jugeassiez qu’il fallust recourir à la source mesme, Sa
Majesté treuve bon que vous choisissiez quelque personne intelligente, et
que vous luy donniez les instructions de ce qu’il aura à faire, l’addressant à
monsieur de La Thuillerie s’il se rencontre sur les lieux ou au sieur Chanut
comme sy le Roy mesme l’avoit dépesché, et pour cet effect monsieur de
Brienne vous addresse des lettres de créance du Roy en blanc pour la reyne
de Suède, pour monsieur le connestable de La Garde, pour monsieur le
chancellier Oxenstiern, pour monsieur de La Thuillerie, pour ledict Chanut
lesquelles vous pourrez remplir du nom de celuy que vous y envoyerez y
ayant aussy quelques lettres de moy en la mesme créance .
Enfin Messieurs je vous ay dict beaucoup de choses qui me sont venues à la
foule dans l’esprit en ce rencontre, non pas avec la pensée qu’on les face
toutes, mais affin que dans la diversité vous choisissiez ce que vous croirez
estre plus utile pour la fin que nous nous proposons qui est de rompre cette
négotiation particulière des Suédois, à quoy nous devons d’aultant plus
nous applicquer qu’il est constant que Dieu laissant agir les causes secon-
des, nous ne devons rien appréhender dans l’estat présent des affaires que
d’estre abandonnez de noz alliez, et sy nous sommes une fois bien asseurez
de ce point-là, et que nous continuyons à tenir bon, nous ne devons pas
doubter que nos ennemis consentent à tout ce que nous pourrons désirer
d’eulx, puisque tous noz advis portent qu’ilz y sont tout à fait résoluz et de
l’exécuter dès qu’ilz auront perdu l’espérance de cette séparation. Ce n’est
pas que quand ce malheur ariveroit, la puissance du Roy et la grandeur de
ce royaume ne fournisse abondamment des moyens pour remédier à tout et
que noz ennemis n’eussent aultant d’occasion que jamais de songer à leurs
affaires parce que l’on pourroit mettre d’autres fers au feu ausquelz ilz ne
pensent pas, et nous devons avoir tant de confiance dans la protection
visible que Dieu prend de cette couronne et dans les prospéritez de la
France, que sy jamais cet accident arrive il ne paroistra en nous nul
estonnement. Et à la vérité sy on recognoissoit de ne pouvoir l’empescher il
semble que c’est alors que nous devrions faire paroistre plus de résolution,
et monstrer que le courage nous auroit redoublé pour ce qu’après tout il y
auroit lieu d’espérer que l’on pourroit continuer à soustenir les affaires en
façon que les Espagnolz en particulier verroient bientost que cette sépara-
tion des Suédois d’avec nous ne suffit pas pour arrester le cours de
prospéritez que nous faisons contre eux. Et quant à l’Allemagne nous ne
manquons pas de pièces en main et de moyens pour gagner le duc de
Bavières et l’électeur de Brandebourg, pour conserver madame la Lantgrave
et peult-estre pour faire agir aussy le roy de Pologne et le roy de
Dannemark. Il est facile et ordinaire de faire veoir qu’on a du coeur dans les
prospéritez, mais sy Dieu l’avoit permis de la sorte, j’espérois que dans les
adversitez nous le ferions encor cognoistre davantage et avec grande
constance, mais il seroit mieux pourtant que nous ne fussions point obligez
à exercer cette vertu.
Après avoir tant escript et tant considéré de choses, quoyque je ne doubte
nullement de la vérité de cette négotiation secrette des Suédois, j’ay une
certaine confiance que d’une façon ou d’aultre nous en sortirons heureuse-
ment et que Dieu qui veoid les sainctes intentions de Leurs Majestez
n’auroit pas conduict les choses au point qu’ils sont par de continuelles
bénédictions pour laisser l’oeuvre imparfaicte et permettre que nous
recevons du préjudice quand nous pensons estre prestz de recueillir le frucit
de noz travaux. Il semble surtout nécessaire de prendre bien garde sy cette
négotiation des Suédois vient à estre sceue et à devenir publicque que l’on
ne recognoisse pas que nous nous précipitons à donner toute facilité au
traicté de la paix parce qu’on l’attribueroit à foiblesse, et que nos ennemis
s’en serviroient à n’oublier rien pour accroistre nos soupçons et semer de la
jalousie parmy nous et noz alliez voyant que par ce moyen ilz pourroient
obtenir des avantages que sans cela ilz n’auroient ozé espérer. Voylà tout ce
que je vous diray cette fois-cy sur cette matière.
Je vous addresse l’extraict de quelques articles d’une lettre que j’ay receue
de monsieur le cardinal Grimaldi par lesquelz vous cognoistrez avec quelz
applaudissemens et quel honneur pour Leurs Majestez s’est passée la
déclaration publicque qu’ont faicte messieurs les Barberins de serviteurs de
cette couronne et les conséquences avantageuses qui s’ensuivront d’avoir
estably un party dans Rome plus considérable que n’y en a jamais eu la
France.
Sa Majesté fist appeller avant-hyer dans le conseil monsieur le nonce et luy
fist parler par monsieur le chancellier sur le subjet de monsieur le cardinal
Anthoine que l’on continue à poursuivre mesme depuis que Sa Majesté a
accordé sa protection à toute la famille, mais comme monsieur le comte de
Brienne a esté chargé de vous addresser la copie du discours mesme que
ledit sieur chancellier a faict par lequel vous serez amplement informez de
tout, je n’avois rien à y adjouster.
Je vous envoye la coppie d’un escript qui a esté leu dans le conseil et que
l’on a communiqué après à monsieur l’ambassadeur de Venize sur les
assistances que Leurs Majestez ont résolu de donner à la Républicque, et
touchant une proposition de suspension sur la mer Méditerranée pendant la
campagne prochaine affin que les Espagnolz puissent employer leur armée
à secourir ladite République contre le Turc. On y a adjousté deux articles
comme vous verrez pour le tiltre de monsieur le duc de Longueville et pour
la jouissance des bénéfices de messieurs les cardinaux Barberins que l’on
leur avoit séquestrez dans l’Estat de la Républicque. J’ay eu occasion de
veoir en mesme temps l’ambassadeur Nani duquel je vous diray en passant
que je vouldrois bien qu’il pust inspirer à Contarini la véritable affection
qu’il a pour la France. Il m’a dict entre autres choses que vous entendriez
bientost une proposition que vous doivent faire les médiateurs de la part
des Espagnolz qui ne vous desplaira pas. Il a adjousté que tous les obstacles
qu’il prévoyoit seroient pour la Cathalogne et le Portugal, desquelz
malaisément pourroit-on sortir que par une trêve. Je luy ay réplicqué
faisant semblant d’entendre que l’on pourroit faire la paix en retenant tout
ce que nous avons occupé sur eux et une trefve pour la Catalogne et le
Portugal, mais que j’y voyois beaucoup de difficulté, et quoyque peult-estre
il n’eust pas eu cette pensée, j’ay remarqué néantmoins qu’il a fort approuvé
ce party qui à mon advis hors de la paix ne seroit pas le moins avantageux,
particulièrement sy le Roussillon nous pouvoit estre asseuré dès à présent.
J’avois oublié de vous dire que j’ay quelques advis qui se rencontrent
aucunement contraires à celuy qui est porté par celluy de Vienne dans le
jugement qu’il faict de la venue du comte de Trautmandorff à l’assemblée.
Ils contiennent que divers ministres d’Espagne et d’autres affectionnez à ce
party-là tesmoignent avoir appréhention du voyage dudit Trautmandorff
parce qu’ilz sçavent qu’il a esté de tout temps fort attaché à la personne et
aux intérestz du duc de Bavières et qu’ilz prétendent sçavoir que ledit duc
ayt solicité cet envoy près de l’Empereur avec grande instance en intention
de faire que par l’entremise de ce ministre qui aura tout pouvoir, l’Empe-
reur sy la paix généralle ne se peult conclurre promptement donne au
moins les moyens de l’establir dans l’Empire, et ilz craignent aussy que
parmy ces moyens sera compris le consentement que l’Alsace nous demeu-
re et que Bavières non seulement pour l’envie et le besoin qu’il a d’un
prompt accommodement, mais pour l’intérest de veoir diminuer la puissan-
ce de la maison d’Austriche en Allemagne pour d’autres respectz particu-
liers, ne s’employe à nous faire avoir cette satisfaction. Et sur ce poinct de
l’Alsace vous prendrez s’il vous plaist garde quand on traictera ces matières-
là, à la conduicte du docteur Volmar lequel pour estre créature et ministre
des archiducz y sera infailliblement tout à faict contraire.
Je vous envoye la coppie d’une lettre que monsieur le duc de Bavière escript
à monsieur le nonce qui m’a semblé assez importante et qui vous donnera
beaucoup de lumières et quoyque je luy aye faict faire responce me
plaignant que son procéder n’avoit autre règle que celle que luy donnoit la
diversité des conjunctures, néantmoins que s’il confirmoit la vérité de ses
parolles par les effectz et qu’il proposast quelques partiz raisonnables, il
treuveroit en vous autres Messieurs tout ce qu’il pouvoit désirer de la
bonne disposition de Leurs Majestez à le favoriser, et qu’il se devoit une
fois pour toutes mettre en teste que soit le traicté général, soit un particulier
avec le Roy ne seroit jamais ny négotié ny conclud que par les plénipoten-
tiaires du Roy à l’assemblée adjoustant que comme nous sçavions que les
Suédois estoient incapables d’avoir aulcune négotiation avec l’Empereur à
nostre insceu, aussy ne pouvions-nous rien soupçonner en ces matières-là à
leur désavantage. Enfin plus je songe et plus je me confirme dans la
croyance que Bavières est le meilleur instrument que nous puissions avoir
dans les affaires d’Allemagne pour nous y faire avoir noz satisfactions et
que nous en tirerons plus d’avantage que par le moyen des médiateurs,
parce que quand il y auroit beaucoup moins d’affection que ceux-cy n’y en
tesmoignent, son intérest propre qui s’y rencontre l’obligera de le faire.
Pour conclusion je vous suplie vous autres Messieurs instamment de
vouloir compatir à la haste avec laquelle je suis forcé par l’accablement des
affaires de travailler à des matières si importantes que sont celles dont je
vous escrips qui mériteroient une application toute entière et des médi-
ations de plusieurs journées au lieu que je ne puis y vacquer qu’à reprises
interrompues et en courant. Je vous suplie de n’avoir esgard qu’à la
substance des choses et non pas au peu d’agencement que j’y donne …