Acta Pacis Westphlicae II B 1 : Die französischen Korrespondenzen, Band 1: 1644 / Ursula Irsigler unter Benutzung der Vorarbeiten von Kriemhild Goronzy
Depuis tout le temps que je suis emploié au dehors, je n’ay point receu de
despêche si agréablement que celle dont Vostre Eminence m’a honoré le
9. de ce mois. Je n’ay pas la vanité de croire que dans le cours de tant
d’années et de tant d’affaires je n’eusse point fait de fautes. Je crois bien
plustost que ceux qui gouvernoient alors ne m’ont pas asséz affectionné
pour me les dire. Cette considération, Monseigneur, relève beaucoup le prix
de vostre bonté qui n’a pas voulu me laisser davantage dans la jouissance
d’une fausse joie et qui me fait toucher au doigt que je me suis mal conduit
en deux rencontres. Ce n’est pas assez d’en remercier Vostre Eminence
comme je fais avec grand respect. Il faudroit encores promettre d’estre plus
considéré à l’avenir, mais en ce point, Monseigneur, je me trouve court.
Je ne dois pas promettre ce que je ne sçaurois tenir, et je me suis tousjours
appliqué si entièrement aux choses qui m’ont esté commises que je n’ay ny
temps ny esprit de reste. Tout ce que je puis donc faire est de recognestre
l’infirmité de mon jugement et de ma conscience.
Je supplie aussy très humblement Vostre Eminence comme j’ay desjà fait
cy devant que je ne sois pas seul responsable de toutes les fautes de l’ambas-
sade. Monsieur Servien et Monsieur de La Thuillerie ont consenti formelle-
ment à l’instance qui a esté faitte en Holande en faveur des Catholiques .
En suitte de plusieurs propos que nous en avions tenus en diverses occasions,
je leur représentay environ quinse jours avant laditte instance que s’ils y
trouvoient quelque difficulté, je serois de leur advis. Monsieur de La Thuil-
lerie prit aussytost la parole et tesmoigna hautement qu’il n’y avoit pas lieu
de douter que l’honneur de la France et l’exemple de noz prédécesseurs nous
y obligeoit. Monsieur Servien en demeura d’accord positivement et il ne le
nie pas . Il seroit donc bien juste si noz conseilz et nostre conduitte ne
rencontrent pas tousjours la fin que nous nous sommes proposés, que le
malheur ou l’imprudence ne me fust pas attribuée par préciput. Mais j’ay
travaillé ces jours cy à d’autres affaires, je rendray compte de celle[s] cy à
Vostre Eminence par le premier ordinaire. Et cependant, Monseigneur, je
ne puis consentir au soin que vous voulés prendre de me mettre hors
d’intérest; je suis prest d’encourir tout le blasme et de souffrir toutes les
peines que mérite l’indiscrétion de mon zèle quand vous aurés esté bien
informé de l’action et des motifs que nous avons eus. J’oserois vous deman-
der seulement qu’il vous pleust de sursoir les excuses que vous prépariés
pour Messieurs les Estatz, car c’est à eux, Monseigneur, à vous en faire.
Et cella ne retardera en rien l’effet de la campagne, non plus que quand
nous leur avons parlé ferme nous n’avons rien gasté. Au contraire, ils en
ont esté plus traittables, et nous vous l’avons escrit en temps non suspect.
Quand à ce qui s’est passé avec Monsieur l’Ambassadeur de Venise, j’ay
pour garend Monsieur de Chavigni, Monsieur Servien et l’usage de Rome.
Je nomme Monsieur de Chavigni parce que dèz lors que le feu Roy le destina
pour le traitté de la paix, il me fit entendre comme par un ordre supérieur
que nous aurions à vivre icy comme à Rome, qu’il falloit précéder chez
nous l’Ambassadeur de Savoie et accompagner celuy de Venise sur le haut
de l’escalier. Il m’a depuis redit la mesme chose plusieurs fois. Monsieur
Servien a suivi cet advis sans en faire aucun doute et me l’a déclaré si souvent
à La Haie que comme je descendois tout l’escalier pour conduire ledit Sieur
Contareni, je haussay les espaules en regardant Monsieur de Saint Romain
pour luy donner à cognestre que la civilité m’emportoit au delà des bornes
qu’on m’avoit prescrites. Et de fait, incontinent après je luy demanday s’il
avoit compris ce que je voulois signifier par ce geste et luy dis qu’asseuré-
ment Monsieur Servien me querelleroit à son arrivée. Ainsy quoyque je
fisse, je ne pouvois éviter le blasme.
Il y a plus. Quand je fus à Rome, Monsieur de Brassac
j’avois accompagné l’Ambassadeur de Venise qui estoit celuy cy mesme
jusques à son carosse; et aujourd’huy, j’ay encores mal fait de ne l’y avoir
pas accompagné. Il semble que parmy tant de diversités un ministre qui n’a
point d’ordre de son maistre et qui est authorisé de l’avis de ses collègues
ne peut choper lourdement.
Aussy, Monseigneur, vous fondés cette répréhension sur un usage que j’ay
creu tout contraire, et mesmes j’en suis tesmoin. Vostre Eminence présupose
qu’à Rome, les Ambassadeur de France accompagnent ceux de Venise
jusqu’au carosse et me mande que j’en davois faire autant. Si cella est, j’ay
tort et je passe condannation. Mais Vostre Eminence me permettra de luy
dire ce que je sçais avec certitude, et je m’asseure tant de sa bonté qu’elle
sera bien aise de trouver de quoy m’absoudre. Or, il est constant que Mon-
sieur de Béthunes
tés de les accompagner sur le haut de l’escalier. Et c’est sur cet usage que
Monsieur de Chavigni et Monsieur Servien avoient pris leur résolution. Ny
eux ny moy n’avons pas eu la moindre pensée d’altérer l’égalité que l’on a
accordée à la République, ny d’aller débattre un droit qui luy est acquis
depuis longtemps. J’ay esté bien esloigné de ce dessein dont Vostre Emi-
nence me rend coupable. Seulement ay je voulu (en me conformant à ce qui se
prattique à Rome et au sentiment de ceux sans qui je ne puis rien) ne retran-
cher aucune chose des démonstrations d’honneur qu’on a coustume de ren-
dre aux Ambassadeurs de Venise et aussy de n’y adjouster pas sans en avoir
ordre. Monsieur Contareni avoue luy mesme que c’est l’usage de Rome et n’a
pris son avantage que sur le traittement qu’il reçoit icy des Ambassadeurs de
l’Empereur et d’Espagne. |:Mais ce sont gens si foibles et si neufs à un
mestier que je vous asseure encores une fois, Monseigneur, que ce ne seront
pas eux qui feront la paix:|.
Tant y a que nous avons suivi cet exemple puisqu’on nous l’a ordonné, et
quoyque j’aie pu remonstrer à Monsieur Servien, il a esté recevoir Monsieur
Contareni jusques dans la cour. Monsieur de La Thuillerie en fit autant le
lendemain. Et par conséquent me voillà forcé à ne tenir pas tout seul contre
tout ce qu’il y a icy d’Ambassadeurs, car Monsieur le Nunce rend aussy
cette déférence audit Sieur Contareni. Et d’ailleurs elle est très ordinaire en
Allemagne et l’on n’en use point autrement s’il n’y a une fort grande
inégalité.
Par ce moien, Monsieur Contareni a bien sujet d’estre content, et je ne
lairray pas perdre le fruit que nous en devons tirer. Desjà je puis dire à
Vostre Eminence que le jour mesmes que nous avions receu noz lettres de
France aians traitté d’affaires avec Monsieur le Nunce et avec Monsieur
Contareni, je fis entendre à celuy cy en présence de Monsieur Servien et
avec un visage content que j’estois bien aise d’estre authorisé pour luy
donner tout contentement et qu’il pouvoit juger que j’en avois escrit à la
Cour avec dessein de me faire donner cet ordre comme je l’avois tesmoigné
à son secrétaire. Il agréa fort ce compliment, en sorte que Monsieur Servien
me dit au sortir que si c’eust esté à luy à porter cette parole, il luy eust fait
sentir que c’est une nouvelle faveur que le Roy accorde à la République de
Venise. Il m’avoit mesmes auparavant proposé de n’exécuter point l’ordre
de la Cour jusques à ce que nous y eussions escrit noz raisons, mais ne
m’aiant pas trouvé dans ce sentiment, il a donné les mains. Il n’a nul tort,
Monseigneur, de ne m’avoir pas creu sur ce qui estoit d’aller à la rencontre
de Monsieur Contareni, puisque la lettre de la Reyne nous ordonne de
suivre l’exemple des autres Ambassadeurs. Et je n’ay osé luy dire que Vostre
Eminence m’avoit fait l’honneur de m’en escrire autrement, car cella eust
produit un plus mauvais effet. Nous sommes très bien, Dieu mercy, et
j’espère que cella durera.
Vostre Eminence recevra par cet ordinaire une copie de la lettre particulière
que nous avons escritte a l’assemblée de Francfort en y adressant la des-
pêche que nous vous envoiasmes il y a huit jours . Ceux qui cognoissent
les affaires d’Allemagne jugent que ce soin ne sera pas inutile. Nous l’avons
estendu jusques aux villes impériales et leur avons aussy escrit séparément
comme Vostre Eminence verra par une autre copie . Je pourrois bien
encores m’estre mesconté en des matières si importantes et avoir escrit trop
ferme ou trop peu. Mais après y avoir apporté exactement tout ce qui dépend
de moy et m’estre prévalu des sages advis de Monsieur Servien qui ne m’a
pas peu ayder en ce rencontre, j’espère que Vostre Eminence recevra mon
travail en bonne part et n’exigera pas plus des hommes que Dieu leur a donné.