Acta Pacis Westphalicae II B 2 : Die französischen Korrespondenzen, Band 2: 1645 / Franz Bosbach unter Benutzung der Vorarbeiten von Kriemhild Goronzy und unter Mithilfe von Rita Bohlen
Addition à l’instruction de messieurs les plénipotentiaires contenant les
intentions du Roy sur la négotiation de Munster dans l’estat présent des
affaires.
Le Roy considérant combien par divers respectz la conjuncture semble
favorable aujourd’huy pour attendre bientost quelque fruict des négoti-
ations de Munster, soit pour l’arivée des députez de Messieurs les Estatz qui
s’y acheminent, soit pour la résolution qu’a prise l’Empereur d’y envoyer le
comte de Trautmandorff son principal ministre lequel vraysemblablement
il n’auroit pas esloigné de soy s’il n’avoit un ferme dessein de conclurre,
comme aussy pour les advis que l’on reçoit d’Espagne que chacun y soupire
après la paix, que le comte de Penneranda qui est le confident du favory, a
tout pouvoir et instruction pour la conclurre et que les personnages les plus
consommez aux affaires dudict roy luy ont hardiement déclaré que quelque
accommodement qu’il face il luy sera très désavantageux [!], pourveu que ce
soit promptement et qu’il arreste par ce moyen les progrès de ses ennemis
dans la campagne prochaine, Sa Majesté a résolu d’envoyer le présent
mémoire à ses plénipotentiares contenant ses plus secrettes intentions et
sentimens sur le faict de laditte négotiation en général se remettant à les
leur explicquer plus en détail lorsque l’on entrera plus avant en matière, et
se promettant cependant de leur prudence, de leur fidélité et de leur
affection qu’ilz en mesnageront l’exécution avcec tant de circonspection et
d’addresse que remportant beaucoup de gloire en leur particulier ilz en
procureront une immortelle à leur patrie et à Leurs Majestez d’avoir estably
le repos de la chrestienté avec des avantages très considérables pour cet
Estat.
Premier party
Comme rien ne seroit de plus grande réputation et plus avantageux à la
France que de faire une paix généralle avec l’Empereur et le roy d’Espagne
dans laquelle fussent compris tous les alliez des deux partiz, et où nous
conservassions tout ce que nous avons occupé pendant ces derniers
mouvemens à l’imitation des Espagnolz qui nous ont à diverses fois
monstré cet exemple à noz despens, il est sans doubte que l’ouvrage le plus
utile et le plus glorieux desdictz sieurs plénipotentiaires seroit de conclurre
une paix universelle qui feroit jouir ce royaume d’une tranquilité d’aultant
plus certaine que les ennemis affoibliz desjà de tant de pertes qu’ilz ont
faictes et dont nous aurions proffité, et destrompez d’ailleurs de la maxime
que la paix leur doibt rendre ce que la paix [!] leur oste, se déféroient à
l’avenir de tant de vastes pensées et de desseins ambitieux qui leur ont faict
depuis certain temps inquiéter et bouleverser tout le monde, et sans
troubler le repos de personne ne s’apliqueroient eux-mesmes qu’à en
gouster la douceur.
Et comme Leurs Majestez préfèrent de beaucoup la paix universelle avec les
seuretez convenables à toute autre sorte d’accommodement, sy pour y
parvenir il estoit treuvé nécessaire par lesdictz sieurs plénipotentiaires dans
le cours de la négotiation de se relascher de quelque partie de ce que nous
tenons tant à l’esgard de l’Empereur que du roy d’Espagne, Leurs Majestez
consentiront de le faire affin de ne rien oublier de ce qui dépend d’elle pour
faciliter l’avancement d’un si grand bien. Après cela il sera bien malaisé que
les plus mal affectionnez puissent nier la sincérité de leurs intentions pour
le bien public puisque ne se contentant pas de sacrifier les avantages que
probablement la France peult se promettre dans la continuation de la
guerre si Dieu laisse agir les causes secondes, elles veullent bien encor se
dessaisir d’une partie de leurs conquestes que nos ennemis mesmes n’oze-
roient dire estre en estat de nous pouvoir oster par la force.
En ce cas de paix généralle pour ce qui regarde Cazal et ce que nous tenons
dans le Piedmont et le Montferrat, il suffira de se remettre aux instructions
desdictz sieurs plénipotentiaires et de confirmer ce qu’elles contiennent sur
ce subjet. Pour ce qui est de l’Allemagne on demeure d’accord de rendre
toutes les places que nous tenons sur le Rhin, et de retenir Philisbourg,
Brisac, la Haulte et Basse-Alsace en la forme et suivant ce que lesdictz
sieurs plénipotentiaires proposèrent eux-mesmes par une de leurs dépe-
sches du mois de juin , et que Sa Majesté approuva dès lors avec la
précaution pourtant que dans cette proposition il ne pust rien estre entendu
qui regarde la Lorraine et avec le surplus que l’on escrivit en responce de
laditte despesche. Il y a subjet de croire que l’Empereur ne s’esloignera pas
beaucoup d’accorder ce que dessus puisque les ministres de Bavière
lesquelz sans doubte ont assez de lumière de ses pensées n’ont pas
tesmoigné quand on leur a communicqué noz prétentions de les treuver
exorbitantes, et la mission de Trautmandorff ayant esté résolue depuis il est
à présumer qu’il aura en main le pouvoir d’y condessendre.
Pour ce qui concerne l’Espagne il fault considérer en premier lieu que cette
nation a tousjours tesmoigné tant de jalousie de ne nous pas laisser prendre
un seul poulce de terre en Italie, qu’elle a regardé toutes les places des
autres princes à nostre esgard comme les siennes propres et n’y a mis
aulcune différence. Il est donc très juste selon leur raisonnement et les
maximes de leur monarchie de leur mettre en ligne de compte tant de
places que nous aurons à restituer aux maisons de Savoye et de Mantoue, en
quoy ilz ont le mesme intérest que sy elles leur appartenoient en propre, et
particulièrement Casal qui a esté l’origine de la guerre, et à la vérité les
grands effortz qu’ilz ont faictz pour s’en rendre maistre tesmoignent à quel
point il leur est à coeur et combien il leur importe sinon de s’en emparer, au
moins d’en veoir sortir les armes françoises. Oultre cet intérest qu’il y a
beau champ de leur faire extrêmement valloir et achepter par diverses
choses à nostre advantage, Leurs Majestez sont d’accord au cas néantmoins
que lesdictz sieurs plénipotentiaires ne puissent faire mieux, de consentir au
rasement et mesmes dans une pressante nécessité pour conclurre la paix à la
reddition de quelqu’une des places que nous tenons dans le Luxembourg
ou dans le pays de Haynault et de Flandres dont pourtant Sa Majesté
charge lesdictz sieurs plénipotentiaires de se deffendre jusques au dernier
poinct, estant très important comme chacun veoid de faire à Paris des
rempartz et des dehors les plus avancez que l’on pourra particulièrement
sur les frontières qui en sont sy proches où les Espagnolz joignans leur
forces avec celles de l’Empire sont plus capables de nous faire appréhender
du mal.
Lesdictz sieurs plénipotentiaires se souviendront sur toutes choses quand
on traictera cette matière de ne pas souffrir qu’on nous mette en dispute la
retention du Roussillon et de Roses avec toutes les dépendances que le Roy
ne consentira jamais de quitter, puisqu’oultre les anciens droictz et les
justes prétentions que nous y avons dont lesdictz sieurs plénipotentiaires
ont les mémoires, Perpignan, Salces, Colioure
qu’on a conquises à la poincte de l’espée lesquelles, du moins les trois
premières ont donné la peine au feu roy de s’y transporter
avec beaucoup de hazard dans une saison rigoureuse où il a esté versé tant
de sang françois et consommé des trésors immences et dont nous sommes
venuz à bout avec les forces seules de ce royaume sans que l’assistance des
Catalans nous ayt servy de rien, ce qui est considérable pour donner lieu à
la distinction que nous voulons faire dudict comté d’avec leur principaulté
qui s’est donnée à nous.
Quant au poinct de la Cathalogne qui est le plus délicat à traicter et à
conclurre quoyque le mauvais estat des ennemis et l’apparence d’empirer
tousjours leur deust persuader de ne nous en pas disputer la pocession,
néantmoins pour donner ausdictz sieurs plénipotentiaires moyen en tout
cas d’avancer la paix, sy sans cela elle ne peult estre conclue, Leurs Majestez
treuveront bon que l’on y cherche des expédiens dans le choix desquelz il
fauldra surtout avoir principalement esgard à la satisfaction et à la seureté
de ces peuples, et à l’honneur de cette couronne à qui ilz ont recouru et
confié leur salut.
L’expédient qui paroist le plus convenable en ce qu’il produiroit ce semble
mieux qu’aulcun autre ces deux effectz-là seroit de rendre le pays neutre et
d’en former une républicque dans l’alliance et soubz la protection des deux
roys tous deux réciproquement obligez à l’assister contre celuy qui l’attac-
quera pour tout le temps que dureroit la guerre, en quoy les Cathalans ne
treuveroient pas seulement leur entière seureté et leur satisfaction, mais le
Roy auroit faict esclatter sa bonté et sa puissance au dernier poinct
recompensant l’affection qu’ilz ont tesmoignée pour la France par un
présent qu’elle leur feroit de leur liberté et de vassaux qu’ilz estoient
d’Espagne, et puis de cette couronne les ayans renduz souverains et
indépendans, deschargez de tous tributz, et délivré à l’avenir de toutes
oppressions.
Leurs Majestez recommandent ausdictz sieurs plénipotentiaires quand il
sera temps de discuter cette matière, d’insister fermement sur cet expédient
faisant cognoistre que c’est le dernier et le plus favorable pour l’Espagne où
nous puissions jamais nous relascher affin que l’envie de veoir nos armes
hors de ce pays-là dont ilz ne peuvent guères les chasser que par un
accommodement pareil les induise à prendre ce party de crainte de pis, et
mesme pour faciliter la chose quand les conditions de l’establissement de
cette républicque ne seroient pas tout à faict réciproques et qu’elles seroient
un peu plus avantageuses pour les Espagnolz, Leurs Majestez y consenti-
ront remettant le détail des moyens à la prudence desdictz sieurs plénipo-
tentiaires et à ce que l’on pourra mander d’icy plus particulièrement lorsque
l’on traictera ce poinct.
Que sy on perd toute espérance de pouvoir y faire condessendre les
Espagnolz, et que l’on recognust qu’il n’y eust que cette pierre d’achoppe-
ment à la conclusion de la paix on pourra consentir moyennant les seuretez
que l’on cherchera et que l’on restablira pour la satisfaction et le bon
traictement des Cathalans à les remettre soubz l’obéissance du roy d’Espa-
gne à condition que leurs privilèges leur seront à l’avenir inviolablement
conservez, et mesme accreuz, que la France sera engagée à leur manuten-
tion et obligée en cas d’infraction du consentement mesme du roy
d’Espagne à prendre les armes pour les assister et les protéger taschant
mesme d’intéresser à leur protection tous les princes qui seroient aussy
engagez à la seureté de la paix généralle.
Mais comme quelque bonne intention que nous ayons il fault attendre de la
mauvaise volonté des Espagnolz contre nous que dès que cette négotiation
sera ouverte, ilz la débiteront aussytost parmy les Catalans comme sy la
France vouloit les sacrifier affin de parvenir mieux à ses aultres fins. Il est
extrêmement important de bien examiner de quelle façon on la conduira,
d’aultant plus que noz troupes pourroient courre quelque risque dans le
pays par une révolte des peuples lesquelz se mettans en teste cette oppinion
vouldroient sans doubte nous prévenir et avant que nous eussions eu le
temps de rien conclurre essayeroient d’appaiser la colère du roy d’Espagne
contre eux par le mérite de la perte de nos troupes et entreprendre ensuite
contre le Roussillon.
Cela faict juger que peult-estre sera-t-il à propos quand on sera contraint de
venir à ce point d’assembler dans Barcellonne les principaux du conseil et
du pays et leur représenter que Leurs Majestez sont résolues de continuer la
guerre jusqu’au bout et ne les point abbandonner qu’ilz ne soient entière-
ment satisfaictz, mais que comme la paix s’en va conclue en tous les autres
poinctz, et n’est plus arrestée qu’en ce qui les regarde qui néantmoins
rompra tout s’il ne se treuve quelque voye de les satisfaire, le Roy les convie
à y songer eux-mesmes, et de proposer ce qui seroit le plus de leur goust et
de leur contentement affin que l’on essaye de l’obtenir des ennemis ou s’il
ne se peult que l’on continue la guerre plus vigoureusement que jamais. Il
est à croire qu’estans ainsy asseurez de n’estre point délaissez ilz ne
prendront aulcune résolution précipitée, et ensuite dans le besoin qu’ilz ont
eux-mesmes aultant qu’aulcun autre de jouir un peu du repos, et flattez
d’ailleurs de la gloire de la donner à la chrestienté puisqu’on leur fera veoir
qu’il est en leur main de faire la paix ou d’en rompre le traicté, ilz seront les
premiers à chercher des tempéramens et se laisseront porter à ce qui sera
jugé équitable, d’aultant plus que parmy eux il n’y a que trop de personnes
qui quoyqu’ilz ne l’ozent dire ne seroient pas marries de retourner soubz la
domination d’Espagne à quelque prix que ce fust, et la plus grande partie
des autres pourveu que ce fust avec seureté.
Quant au Portugal messieurs les plénipotentiaires sçavent que le traicté
d’alliance qui est entre la France et le roy de Portugal ne nous oblige point
à ne faire pas la paix sans l’y comprendre, mais aussy toutes les raisons
politiques et celles de la bienscéance requièrent que l’on n’y oublie rien de
possible et que l’on face cognoistre audict roy que nous avons ses intérestz
à coeur au dernier poinct. Sa Majesté désire donc que l’on tasche par toutes
sortes de moyens d’accommoder cette affaire, quoyqu’à dire le vray on la
treuve très difficile les parties se treuvans encor bien loing de compte
puisque le roy d’Espagne prétend de le chastier comme rebelle et de rentrer
dans tous ses Estatz qu’il luy a occupez et le roy de Portugal [croid]
tellement que tout luy appartient en justice, qu’il n’est pas résolu de rendre
un seul poulce de terre. Les Portuguais vont bien plus avant, (mais assez
légèrement à ce qu’il semble) car il n’y en a aulcun qui ne se flatte quoy
qu’il arive de pouvoir se conserver malgré toute la puissance d’Espagne non
seulement parce qu’ilz prétendent d’avoir fort bien fortiffié leurs frontières,
mais pour la grande estendue de pays que leur roy possède aux Indes qui
donnent de notables advantages dans le commerce et de très grandes
richesses et en effect les dernières nouvelles sont que il en a eu deux
millions d’or de présent, mais plus que tout parce qu’ilz croyent qu’à [!]
l’amour qu’ilz ont pour leur roy et leur hayne contre Castille sont des
places inexpugnables pour leurs ennemis.
Comme cette affaire des Portuguais sera très difficile à accommoder, on
estime qu’en faisant la paix de tous costez, il fauldroit en sortir honorable-
ment arrestant une trêve entre le roy d’Espagne et le roy de Portugal pour
le plus long temps qu’on pourroit l’obtenir avec des articles les plus
avantageux qu’il seroit possible. Du surplus on remet lesdictz sieurs
plénipotentiaires à reveoir quelques expédiens qui sont insérez dans leurs
instructions pour juger sy dans les conjunctures quelqu’un se pourroit
mettre en pratique, ausquelz mesmes on adjoustera ce que quelqu’un avoit
proposé que le roy d’Espagne pour se remettre dans la pocession paciffique
de ce royaume céderoit volontiers au roy de Portugal la Cicile ou du moins
la Sardaigne. On dict cela à toutes fins quoyque de l’humeur des uns et des
autres on puisse juger que l’on y rencontreroit des deux costez des
difficultez esgalles.
Il reste à considérer dans cette paix les intérestz de Messieurs les Estatz qui
en leur particulier ne vouldroient qu’une trêve ainsy que lesdictz sieurs
plénipotentiaires sçavent.
De prétendre que nous rompions de nouveau et que nous rentrions en
guerre quand le temps convenu pour leur trêve sera passé, il y auroit de
l’injustice en eux, et on auroit mauvaise oppinion de nous sy on croyoit que
nous fussions capables de l’accorder, parce qu’oultre qu’il pourroit nous
estre extrêmement préjudiciable, on ne vouldroit pour rien du monde
manquer de cette sorte à la foy publicque, et comme dans la crainte de
quelque mauvais dessein nous pressons de tout nostre pouvoir la conclu-
sion d’une ligue de tous les princes contre celluy qui violeroit le traicté, il se
treuveroit, nous accommodans en cela au désir des Hollandois que nous
aurions esté nous-mesmes les instrumens pour nous jetter tout le monde
sur les bras.
Ce que nous pouvons promettre et que l’on exécutera facilement, c’est que
tous les esgardz pour avoir leur trêve la plus longue qu’il sera possible, on
les fera de nostre costé, que quand elle sera preste d’expirer, la France
renouvellera chaudement ses offices pour la faire continuer, et au cas qu’ilz
soient inutiles, qu’elle assistera Messieurs les Estatz d’hommes et d’argent
dont on pourra convenir dès à présent, à quoy il fauldra aporter grand
mesnage n’accordant que le moins qu’il se pourra, mais pourtant ce qui sera
nécessaire affin que lesdictz Estatz ayent subjet d’estre satisfaictz de la
France dont Sa Majesté se remet sur l’addresse et sur la prudence de
messieurs les plénipotentiaires.
Second party
Voylà tout ce qui peult regarder la paix, que s’il se rencontre trop
d’obstacles et de peine à la conclurre et que l’on recognoisse que la
discution de tant de différens intérestz qu’il fauldra nécessairement agiter
deust porter la chose en trop de longueur et qu’ainsy ce qui ne procéderoit
que de la nature de l’affaire pust estre interpretté aultrement et attribué au
peu d’inclination que la France a pour la paix, Leurs Majestez pour
confondre tous ceux qui vouldroient leur imputer cette répugnance sont
d’accord de consentir dès à présent à un moyen par lequel on pourroit faire
respirer pour quelque temps la chrestienté des maux qu’elle souffre, et
cependant on auroit loysir de traicter à fondz tous les poinctz de la paix.
Ce seroit de faire une suspension d’armes généralle de tous costez les
choses demeurans en l’estat qu’elles se treuveroient lorsque toutes les
parties intéressées y consentiroient, bien entendu que cette suspension
seroit à longues années et pour le plus longtemps que lesdictz sieurs
plénipotentiaires pourroient en obtenir la durée laquelle en tout cas ne
doibt pas estre moindre de dix ans.
Encor que les Espagnolz dans l’escript qu’ilz ont donné à l’ambassadeur de
Venize par lequel ilz consentent à une suspension d’armes n’ayent parlé de
la faire que pour peu de temps, et qu’ilz en ayent mesmes exclus le
Portugal, il y a grande apparence de croire que messieurs les plénipotentiai-
res s’en sont assez apperceuz qu’ilz condessendroient avec grand plaisir à
une suspension d’armes à longues années, et que le Portugal mesme y seroit
compris, et on sçait certainement que Rodrigue et le comte de Penneranda
croiroient avoir rendu un service signallé au roy leur maistre sy par ce
moyen ilz pouvoient calmer l’orage qui menace leur monarchie d’un
nauffrage entier.
Et affin que le monde touche encores mieux au doigt la candeur des
intentions de Leurs Majestez quand il fauldroit pour conclurre cette
suspension d’armes donner quelques pensions à des princes despouillez, ou
que mesme il fallust nécessairement convenir du rasement de quelque place
ou donner quelqu’autre satisfaction Leurs Majestez pourront y consentir
après qu’elles auront sceu plus précisément ce que l’on désire d’elles,
quoyqu’il y a subjet de croire que nous ne serons pas beaucoup pressez
là-dessus, puisque de ce qu’on a peu pénétrer des intentions des ennemis
par les discours des médiateurs et par les propositions mesmes qu’ilz font il
se veoid assez que ilz seroient bien aises de venir à une suspension d’armes
laissant toutes choses en l’estat qu’elles sont à présent. Il sera malaisé après
cela, qu’apportans tant de facilité dans une affaire de cette nature qui peult
estre conclue en un jour personne puisse révocquer en doubte la parfaicte
disposition de la France à procurer le repos de la chrestienté puisqu’au
millieu de ses prospéritez et lorsqu’elle a le vent le plus en poupe avec
certitude morale d’une navigation tousjours plus heureuse veu la foiblesse
de ses ennemis et le peu de moyen qu’ilz ont de continuer la guerre desnuez
comme ilz sont de chefs, d’hommes et d’argent, on est prest d’abaisser les
voyles, et de préférer le bien et la tranquilité publicque qui mesme leur
donnera lieu de se remettre en bon estat à tous ses intérestz particuliers.
Et comme l’on a veu jusqu’à cette heure les Suédois peu disposez à cette
suspension encor que par un traicté que nous avons ensemble ilz soient
obligez à y consentir sy on recognoist que chacun hors eux soit disposé à
donner à la chrestienté ce repos quoyque limité, Leurs Majestez sont
d’accord de faire à la couronne de Suède tel party qui sera jugé raisonnable
affin qu’elle y consente promettant de l’assister non seulement quand la
trêve cessera et qu’il fauldra rentrer conjoinctement en guerre, mais de
l’ayder aussy durant la trefve mesme affin qu’elle puisse entretenir ses
armées dans l’Allemagne avec plus de commodité, quoyque tant de pays et
de places qu’ilz ont occupez et dont ilz demeureroient en pocession en
vertu de la trefve leur en fourniroient assez de moyen et beaucoup plus
qu’il ne seroit besoin.
Il fault remarquer que sy on concluoit cette suspension généralle à longues
années la maison de Savoye prétendroit la restitution des places que nous
tenons en Piedmont dont on leur fist cognoistre il y a quelque temps
lorsqu’on estoit satisfaict de la conduicte de madame, que l’on ne s’esloi-
gneroit pas en ce cas pour les favoriser pourveu que les Espagnolz
rendissent aussy en mesme temps celles qu’ilz occupent qui sont Verceil et
le Centio
Leurs Majestez pourroient se laisser persuader à n’y faire pas de difficulté
du leur, bien entendu que madame de Savoye, qui pour son intérest et pour
celuy de monsieur son filz ne doibt songer qu’à donner à Leurs Majestez
toute satisfaction et à establir des ministres auprès de luy en qui l’on puisse
prendre confiance, le fera en sorte que l’on aura tout subjet d’estre satisfaict
d’elle, car aultrement l’on seroit contrainct à prendre d’aultres mesures, et
bien entendu aussy que l’on conviendra auparavant de ce qui sera nécessai-
re pour nous asseurer d’avoir tousjours le passage libre jusqu’à Cazal que
nous retiendrions pendant la trêve, et que nous eussions quelques satisfac-
tions que nous prétendons pour l’entière seureté de Pignerol, comme le
poste de Caours
pourra le faire assez à temps sy on veoid que la négotiation prenne le train
de cette suspension à longues années.
Et comme noz ennemis, quelque chose qu’ilz ayent solemnellement promis
pour la suspension d’armes, s’ilz voyent jour à pouvoir tirer quelque
advantage en y manquant n’auront point de scrupule de le faire, il est très
important de ne pas chercher moins de seuretez pour l’observation du
traicté de laditte suspension que pour celuy de la paix mesme à quoy Sa
Majesté s’asseure que lesdictz sieurs plénipotentiaires n’oublieront rien.
Néantmoins comme on juge que non seulement les Suédois mais l’Empe-
reur mesme avec plus de raison qu’eux s’opposera à cette suspension et que
la plus grande partie des princes et estatz de l’Empire seront de mesme
sentiment n’ayant jamais esté parlé de leur part que d’une suspension
d’armes pour trois ou quatre mois au plus affin d’avoir moyen de traicter la
paix sans que les accidens de la guerre moins favorables à un party qu’à
l’autre ne fissent pas changer à chaque moment ce qui auroit esté une fois
concerté, leur raison est que faisant une longue suspention toutes choses
resteroient en trop de confusion en l’Allemagne, et qu’ilz ont besoin d’un
remède plus proportionné à leurs maux, et non pas seulement de quelque
relasche qui dans l’incertitude de l’événement leur laisseroit la mesme
inquiétude, ainsy il est à croire que l’Empereur et tous les autres princes
pour sçavoir à quoy en estre et ne laisser pas tousjours leurs couronnes et
leurs Estatz en compromis, condescendront plustost à une paix quoyqu’ad-
vantageuse à la France et à la Suède, qu’à laditte suspension d’armes à quoy
on pourroit remédier par un troisiesme expédient qui s’ensuit.
Troisiesme party
Premièrement, pour l’Allemagne, faire la paix avec l’Empereur ajustant
toutes les affaires de l’Empire en ce qui regarde cette couronne et ses alliez
se contentant pour nous de la satisfaction marquée cy-dessus, convenant de
celle de la Suède, procurant au duc de Bavières celle qu’il prétendroit en
eschange des Palatinatz qu’il fauldroit qu’il restituast à son premier maistre,
restablissant la maison Palatine dans ses Estatz, et sy on ne pouvoit la
porter à laisser l’électorat audict Bavières à quoy lesdictz sieurs plénipoten-
tiaires travailleront avec toute sorte d’affection pour les raisons qui leur ont
esté aultresfois mandées, prenans quelque tempérament pour contenter les
parties comme seroit la création de quelque dignité semblable sans préjudi-
cier au rang dudict Bavières, stipulant toutes les seuretez possibles pour
l’inviolable observation de cette paix, engageant en la meilleure forme qu’il
se pourra tous ceux qui auront eu part à prendre les armes contre les
premiers infracteurs du traicté, et enfin adjustant générallement toutes les
choses qu’il fauldra en la manière plus advantageuse pour agrandir la
puissance des princes et estatz de l’Empire, et diminuer celle de l’Empereur
affin que n’estant plus en son pouvoir de disposer à son gré des forces de
l’Empire, il aille plus retenu qu’il n’a faict à espouser les passions et les
caprices des Espagnolz, et ne puisse plus songer à devenir maistre absolu de
l’Allemagne, ny à rendre la dignité impérialle successive dans sa maison
sans aulcun obstacle.
Quant à ce qui concerne l’Espagne, il y auroit trois partiz à prendre en ce
cas.
Le premier seroit de faire la paix pour la Flandre, pour l’Italie et pour le
Roussillon qui nous demeureroit dès lors en vertu du traicté, et faire une
suspension d’armes à longues années pour la Catalogne et le Portugal affin
que dans le temps de laditte suspension, on pust sans courre aucune risque
de révolter contre nous les espritz des Catalans, travailler à adjuster ces
poinctz-là, soit par quelque eschange avec la Bourgongne ou d’aultres pays,
soit par le moyen d’un mariage pour lequel on dira en passant que l’on a icy
beaucoup d’inclination avec les précautions néantmoins convenables et qui
ont esté mandées ausdictz sieurs plénipotentiaires car alors n’ayans sur les
bras aulcune guerre nous pourrions traicter avec plus de hardiesse sans rien
appréhender des Catalans, et sans crainte aussy de perdre noz alliez.
Le second seroit de faire la paix pour la Flandre et l’Italie, et la trêve pour le
Portugal et la Catalogne compris mesme le Roussillon et pendant laditte
trève on auroit moyen comme cy-dessus de traicter pour ajuster tout avant
qu’elle expirast.
Il est vray que l’on doibt prendre garde en ce second party que comme la
seulle nécessité obligera à présent les Espagnolz de consentir à toutes les
conditions plus avantageuses à la France pour la juste crainte qu’ilz ont de
se ruyner entièrement en continuant la guerre, et comme selon qu’il est
porté cy-dessus ilz sont assez persuadez que ce sera faire la paix utilement
pour l’Espagne toutesfois et quantes que l’on arrestera à présent le cours
des progrès de ses ennemis, il est à appréhender que s’ilz sont sortiz une
fois de la terreur qu’ilz en ont aujourd’huy qu’ilz ayent temps de prendre
un peu halaine, et qu’ilz croyent s’estre mis en estat de pouvoir espérer
quelque changement en leur mauvaise fortune la trêve estant expirée, ilz ne
seront en nulle façon raisonnables dans le traicté que nous aurions avec eux
pour l’Espagne durant cette trefve, parce que la mémoire ressente des
injures et des maux qu’ilz ont souffertz, maintiendra tousjours vive en eux
la passion de s’en venger et leur en représentera les moyens faciles en
procurant quelques divisions et brouilleries dans le royaume, à quoy sans
doubte ilz ne s’espargneront point, qu’encores qu’après dans ledict traicté,
nous nous accommodassions à toute raison, comme l’intention du Roy
seroit encores de garder tout, au moins le Roussillon, ilz n’y donneroient
jamais les mains et seroient bien aises de laisser ce différend comme un
levain à de nouveaux remuemens pour peu qu’ilz crussent de treuver leur
compte à rebrouiller la chrestienté.
Cet inconvénient ne se rencontreroit pas dans le premier party qui seroit de
faire la paix avec l’Espagne en convenant dès lors de la retention du
Roussillon et la trêve pour la Cathalogne et le Portugal, car à toute
extrémité cette trêve expirant, sy nous jugions qu’il nous fust préjudiciable
de nous embarquer une seconde fois dans la guerre, nous pourrions
relascher la Catalogne et abandonner le Portugal qui seroit tout au plus ce
qu’ilz pourroient nous demander, et nous en serions justiffiez suffisamment
devant le monde puisque le repos de la chrestienté se rencontreroit dans la
résolution que nous prendrions, oultre que se relaschant à toutes leurs
prétentions, il y auroit lieu de bien establir l’entière seureté des peuples de
Catalogne et leur procurer mesmes de nouveaux advantages.
Le troisiesme pour l’Espagne seroit de convenir d’une suspension généralle
à longues années les choses demeurans toutes dans les termes qu’elles sont
avec les clauses et précautions qui sont portées cy-dessus quand il est parlé
de la suspention d’armes universelle, et de la maison de Savoye. En ce cas,
comme quelque industrie que l’on apporte pour empescher que la trêve
expirant l’Empereur n’assiste l’aultre branche de sa maison, il sera très
malaisé de s’en pouvoir bien asseurer, il fauldra du moins en prendre toutes
les seuretez que l’on pourra morallement de quoy Sa Majesté se repose sur
la prudence et l’adresse desdictz sieurs plénipotentiaires.
Voylà les trois partiz que l’on peult prendre pour accommoder les affaires
présentement, c’est-à-dire ou la paix ou la trefve, ou la paix dans l’Empire
et la trêve avec Espagne.
Quatriesme party
Il y en auroit encor un quatriesme auquel on pourroit s’attacher au cas que
l’on treuvast disposition aux Espagnolz de conclurre promptement de leur
part comme le sieur Contarini a voulu insinuer, et que l’accommodement
des affaires d’Allemagne ne pust aller sy viste parce que la suspension estant
rejettée de l’Empereur ou des Suédois, il fauldroit plus de temps pour
ajuster une paix. Ce seroit de faire dès à présent une suspension généralle
avec Espagne à longues années prenant prétexte sur la guerre du Turc, et
pour l’Allemagne faire une suspension de six mois pendant laquelle on
traicteroit la paix dans l’Empire.
Quand on dict suspension généralle avec Espagne, c’est-à-dire qu’il seroit
encor mieux s’il estoit possible de faire avec cette couronne les paix
particulières de Flandres et d’Italie avec la trêve pour la Catalogne et le
Portugal ainsy qu’il est porté cy-dessus.
Il fauldroit néantmoins dans l’exécution de ce party prendre ses précautions
pour asseurer deux conditions bien nécessaires.
L’une que quand la paix de l’Empire ne pourroit se faire dans les six mois
de la suspension, ce que nous aurions arresté avec l’Espagne ne laissast pas
d’estre inviolablement observé.
L’autre, que la guerre [se] renouvellant dans l’Allemagne, le roy d’Espagne
ne pust directement ny indirectement assister l’Empereur.
Messieurs les plénipotentiaires se ressouviendront en tous les cas de la
suspension d’essayer à faire en sorte que le Roy demeure dès lors pocesseur
en propre de quelque partie de ce qui pourra luy rester par la paix affin
qu’on ne puisse pas dire que la France après avoir consommé des trésors
immences a conclurre [!] un accommodement sans avoir asseuré aucun
avantage certain.
Et sans doubte quand les médiateurs cognoistront par les discours desdictz
sieurs plénipotentiaires que nous ne sommes pas résoluz de consentir
jamais aultrement à aulcune suspension d’armes, ilz travailleront avec
efficace et particulièrement le sieur Contarini à nous faire donner cette
satisfaction affin que les choses se mettent promptement en estat que l’on
puisse empescher au Turc la suite de ses progrès, et mesme de le contrain-
dre d’abandonner la conqueste qu’il vient de faire, ce n’est pas que Sa
Majesté ne se remette pourtant à ce que lesdictz sieurs plénipotentiaires
treuveront à propos se gouvernans selon les conjunctures.
Il semble que de nostre costé personne ne peult apporter d’obstacles à cette
suspension avec l’Espagne, Messieurs les Estatz ne désirent aultre chose, la
couronne de Suède n’y prend point d’intérest ainsy que ses ministres l’ont
souvent déclaré à ceux du Roy, elle y treuve mesme et tous noz alliez
d’Allemagne un advantage très considérable en ce que l’Empereur et tous
ses adhérens comme Bavière cognoissant bien qu’ilz seroient perduz s’il
leur falloit rentrer en guerre contre la France et la couronne de Suède
lorsque nous serions tout à faict desgagez de celle d’Espagne, et que nous
pourrions réunir l’Allemagne seulle tous les effortz que nous faisons
aujourd’huy en tant de différens endroictz, se porteroient infailliblement à
tout ce que nous et noz alliez pourrons désirer de conditions glorieuses et
utiles pour la cause commune plustost que de s’exposer à un si manifeste
péril de recevoir par les armes la loy que nous vouldrions leur imposer.
Voylà tout ce qui se peult dire en général sur les partiz que l’on peult
prendre pour conclurre promptement quelque accommodement, en quoy il
ne sera pas malaisé de faire toucher au doigt à un chacun la passion que
Leurs Majestez ont pour le repos de la chrestienté et le mérite qu’elles
doibvent avoir de ces pieux sentimens, puisqu’à le bien prendre il y aura
tousjours grande différence entre la disposition que la France et l’Espagne
peuvent avoir à la paix, supposé mesmes qu’elles fussent esgalles, car sy
celle-cy la désire c’est pour prévenir sa ruyne entière qu’elle appréhende, et
sy la France s’y porte, c’est en sacriffiant au bien public de très grands
avantages que la continuation de la guerre donneroit vraysemblablement.
Et c’est sur quoy les médiateurs ont belle matière de s’estendre avec les
Espagnolz pour leur faire cognoistre le proffit indicible qu’ilz auront de
pouvoir sortir promptement d’affaires, sans s’exposer aux dommages et aux
pertes que leur peult causer la guerre dans la campagne prochaine. Ilz
n’auront pas besoin de grande éloquence pour les en rendre capables
puisqu’ilz en sont desjà tous persuadez, et qu’en effect nous sçavons qu’ilz
ont pris la résolution de sortir à quelque prix que ce soit de cette guerre, sy
ce n’est qu’ilz voyent jour à nous pouvoir diviser de noz alliez, et par ce
moyen de la continuer avec espérance de quelque changement à leur
mauvaise fortune.
Ce n’est pas que quelques ministres des plus accréditez parmy eux n’ayt [!]
dict au nonce qui est en Espagne avec intention peult-estre que nous le
sceussions que quand ilz s’addressent aux Hollandois et leur offrent tous
partiz pour s’accommoder, c’est parce qu’ilz croyent que la France dans les
espérances qu’elle a de leur ruyne totalle, rejettera tousjours la paix croyant
avec un peu de temps de la pouvoir donner telle que bon luy semblera, c’est
ce qu’ilz disent mais non pas ce qu’il semble que nous debvons croire.
Que s’il est besoin de nouveaux esguillons pour exciter encor mieux les
Espagnolz à nous donner les satisfactions que nous désirons, lesdictz sieurs
plénipotentiaires en pourront fournir de bien pressants aux médiateurs s’ilz
veulent s’en servir utilement quand ilz leur représenteront que la guerre
aujord’huy se faict de tous costez dans les Estatz de noz ennemis et par
conséquent que le mieux qu’ilz pourroient espérer c’est de ne pas perdre,
mais qu’en cela ilz doibvent juger l’avenir par le passé et mesme moins
favorablement puisque les dernières conquestes donnent tousjours plus
grande facilité d’en faire d’autres.
Que la France a desjà pourveu et asseuré le fonds nécessaire pour la
subsistance de cette année durant la campagne prochaine et pour pousser
ses armes plus vigoureusement qu’elle n’a encore faict, et au contraire les
ennemis treuvent en cela des difficultez qui paroissent sans resource.
Que la France aura facilement tout aultant de gens de guerre qu’elle en a
besoin, et il est comme impossible à l’Espagne d’en recouvrer notamment
de l’infanterie.
Qu’ilz ont entièrement perdu leur armée en Cathalogne estant réduicte
aujourd’huy à trois mille fantassins de nouvelles levées et quinze cens chevaux
au plus, que pour y former quelque corps considérable, il fauldroit
nécessairement tirer des troupes d’Italie, de Flandre, d’Allemagne, d’Irlande et
de Bourgongne, et on laisse à juger sy c’est une chose que l’on puisse mettre à
effect et quand cela seroit, en quel estat resteroient les pays que l’on
desgarniroit. Cependant nous estans emparez de Roses, et asseurez du passage
de la Segre par le poste de Balaguer, nous n’avons plus à penser qu’à pousser de
ce costé-là, et à choisir quelle sorte de progrès nous voudrons faire.
Nos armes se treuvent aujourd’huy dans le coeur de l’Estat de Milan par la
prise de Viguevano
oubliera rien, et qu’en effect depuis peu nous avons nouvelles que le convoy
des munitions de guerre qui estoit la seule chose dont la place pouvoit
manquer y a esté heureusement introduict par Cazal, donne sy grande
commodité d’entreprendre tout ce que nous vouldrons de plus considérable
dans le pays que les peuples avoient déclaré hardiement qu’ilz refuseroient
le quartier d’hyver aux Espagnolz s’ilz ne nous chassoient de ce poste.
La Flandre d’un autre costé est en tel estat que ce sera comme un miracle la
campagne prochaine sy on n’en chasse les Espagnolz, ilz ne sçauroient plus
sauver les deux testes d’Anvers et de Donkerque qu’en tenant à chacune
une armée considérable, et tout le reste qui ne leur est pas moins sensible
ny important comme Coustray, l’Isle, Ipre, et générallement toutes les
autres ne sçauroient s’empescher de tumber d’abord et d’entraisner proba-
blement avec elles tout le reste du pays par le désespoir où les peuples
seront à la fin réduictz et l’envie qu’ilz auront comme ilz y tesmoignent
desjà toute disposition de secouer le joug d’une puissance qui ne les
protégeant que foiblement ne sert qu’à leur oppression et à leur ruyne.
Que sy dès à présent les Espagnolz veullent finir sincèrement toutes choses
par un mariage donnant à leur Infante ce qu’ilz possèdent aux Pays-Bas à
tiltre de dot affin que Contarini ne puisse pas continuer à dire que nous
rejettons absolument tout ce qui nous est proposé et que nous ne voulons la
Flandre que par force quoyque nous ne sçachions pas bien sur quel
fondement il parle, on pourroit escouter ce qu’il a désiré, mais comme il y a
grande apparence que les Espagolz dès qu’ilz verront que nous y aurons
presté seulement l’oreille auront impatience de le faire sçavoir aux Hollan-
dois s’ilz croyent de pouvoir leur donner de la jalousie et de nous diviser
par ce moyen, ou entrer davantage dans la négotiation qu’ilz taschent
d’introduire avec eux, il sera nécessaire que lesdictz sieurs plénipotentiaires
les préviennent et qu’il ne s’en face jamais d’ouverture qu’ilz ne communi-
quent un moment aprez aux ministres de Messieurs les Estatz et ne facent
informer monsieur le prince d’Orange par les sieurs d’Estrades et Brasset,
avec protestation que quelque grand avantage que Sa Majesté pust rencon-
trer dans les propositions de ce mariage elle n’y consentira qu’en tant
qu’elle croira que lesdictz sieurs Estatz y treuvent leur utilité particulière
dans les expédiens qui se pourroient mettre en usage sy le roy d’Espagne
pour sortir un peu plus honorablement d’une mauvaise affaire se vouloit
porter à sortir de ces Pays-Bas.
Il ne seroit pas à croire que la jalousie que quelques-uns ont dict que
lesdictz Estatz auroient du voisinage d’un puissant royaume augmenté
encor des forces d’un nouvel estat bien considérable prévalust en eux
n’estant qu’une imagination sans grand fondement aux advantages solides
qu’ilz retireroient de pouvoir chasser entièrement d’auprès d’eux leurs
anciens et irréconciliables ennemis, de s’establir dans une perpétuelle paix,
se délivrer tout d’un coup de tant de grandes despences qu’ilz sont obligez
de soustenir pour ne songer après qu’à leur trafficq et à leur commerce, et
se mettre en estat que leur souveraineté ne fust jamais contestée de qui que
ce soit par les renonciations que l’on obligeroit l’Espagne d’en faire et qui
seroient ratiffiées par la France entrant en ses droictz. Et oultre que l’on
tomberoit d’accord de toutes les seuretez qu’ilz demanderont là-dessus, on
pourroit mesme consentir que tous les membres des Pays-Bas s’obligeas-
sent envers lesdictz Estatz en la forme qu’on concerteroit à la manutention
de ce à quoy le Roy se seroit engagé en leur endroict.
Sy Messieurs les plénipotentiaires pressent jamais les médiateurs de s’ouvrir
un peu plus qu’ilz n’ont faict touchant le mariage et qu’ilz le fassent par la
suggestion des Espagnolz et non pas de leur chef seulement pour sonder
nos intentions ilz treuveront sans doubte qu’encore que la gloire soit un des
élémens dont les Espagnolz semblent estre composez, ilz s’en despouille-
ront en ce faict particulier et aymeront mieux donner leur infante à
Monsieur frère du Roy voire à un prince du sang qu’ilz croyroient hardy
et entreprenant qu’à Sa Majesté mesme, non seulement parce que les
femmes succédans en Espagne à la couronne, et l’infante n’ayant avant elle
que le prince son frère , les choses se mettroient en estat par ce moyen que
le Roy pourroit par la mort d’une seulle personne devenir le maistre de
tout, mais parce que leur visée seroit plustost d’eslever une puissance qu’ilz
jugeassent pouvoir un jour contrecarrer le Roy et luy faire de la peine que
de donner de nouvelles forces à ce royaume par l’accroisement d’un nouvel
Estat.
Lesdictz sieurs plénipotentiaires sçauront aussy pour leur information, et
pour s’en servir dans les conjunctures d’eschange que l’on pourroit traicter,
que le roy d’Espagne faict fort peu de cas de la comté de Bourgongne, parce
qu’il n’en tire en aulcun temps que fort peu d’assistance et il cognoist bien
qu’estant un pays destaché comme il est de tous les aultres qu’il possède il
ne le conserve qu’aultant que la France diffère de l’attacquer vigoureuse-
ment.
Ilz sçauront aussy que sy les Espagnolz souhaittent soit dans la négotiation
de la paix ou de la suspension d’avoir quelqu’une des places que nous avons
occupées qui sont plus avancées dans la Flandres, et qu’ilz voulussent nous
en donner d’aultres en eschange lesquelles fussent à nostre bienscéance Sa
Majesté pourra entendre et donner les mains en cela aux moyens d’une
satisfaction commune.
Pour conclusion, Leurs Majestez font sçavoir ausdictz sieurs plénipotentiai-
res que leur intention est d’apporter de leur costé toute facilité à un
accommodement ayans plusieurs considérations bien pressantes qui les y
convient.
La première est la tendresse qu’elles ont pour leurs subjetz qu’elles voyent
avec grande peine continuer à souffrir beaucoup de misère et de surcharge
dans la guerre et à qui elles désirent avec passion de pouvoir procurer du
soulagement.
La deuxiesme est le desplaisir qu’elles ont de veoir les armes du Turc dans
la chrestienté et une puissance si redoutable animée et comme engagée
d’honneur à luy faire du pis qu’elle pourra, à quoy il est constant que l’on
ne sçauroit s’opposer que bien foiblement tant que la division des princes
chrestiens tiendra leurs forces occupées à se combattre elles-mesmes au lieu
de se réunir toutes pour résister à l’ennemy commun, et ce sentiment est
d’aultant plus à louer en Leurs Majestez qu’en leurs ennemis, que la seule
piété le leur dicte, et aux autres ce n’est que l’intérest notable qu’ilz ont à
ses progrès pour la proximité de leurs Estatz.
La troisiesme est la décadence totalle des affaires du roy d’Espagne que
pour plusieurs raisons et de tendresse de sang et politicques Leurs Majestez
voyent avec grand sentiment et souhaitteroient passionnément d’y pouvoir
remédier, estant assez visible qu’oultre le mauvais exemple d’une royauté
qui de nos jours court grande risque d’estre abatue il ne peult estre que très
préjudiciable à la France de veoir former sy proche d’elle une républicque
puissante estant ennemie irréconciliable de la religion catholique n’aymant
guères mieux la royaulté, s’unissant estroictement avec Messieurs les Estatz
et les protestans d’Allemagne, tout cela joinct à la naturelle heyne et
aversion que les Anglois ont pour la France, pourroit avec le temps et selon
les conjunctures les faire songer aussy à jetter partout les semences de la
monarchie et inspirer l’esprit de révolte au party huguenot dans ce
royaume.
Et finallement, que les prospéritez de cette couronne, plus elles sont
grandes et s’augmenteroient encores, plus elles susciteront d’envie dans les
amis mesmes et de jalousie et de crainte aux indifférens, et tous ensemble
pourroient bien avec le temps concevoir sy fortement ces sentimens qu’ilz
seroient capables, la rage et les artiffices de nos ennemis se meslans
là-dedans de prendre quelque résolution qui nous fust très préjudiciable
sans que nous puissions pour lors y remédier.
Tout cela faict désirer ardemment à Leurs Majestez de veoir quelque fruict
des négotiations de l’assemblée généralle, mais surtout elles recommandent
ausdictz sieurs plénipotentiaires que s’ilz voyent jour après l’arrivée de
Trautmandorff et des députez de Messieurs les Estatz de pouvoir conclurre
quelque chose ilz le facent promptement parce que l’on pourra par ce
moyen espargner une partie des despences excessives ausquelles on com-
mence desjà de s’engager pour les préparatifs de la campagne prochaine et
les convertir au soulagement du peuple.
Ilz remarqueront aussy qu’encor que dans l’ordre de ce mémoire on ayt
parlé du party de la suspension d’armes généralle immédiatement après
celuy de la paix, ce n’est pas que Leurs Majestez ne tiennent le dernier
party de la paix avec l’Empire et de la suspension avec l’Espagne plus
avantageux pour nous que n’est laditte suspension généralle.
Premièrement, parce que par la paix de l’Empire on aura d’abord quelque
chose de solide, asseuré et affermy pour cette couronne.
En second lieu, parce que ce party nous donne moyen de satisfaire en
mesme temps tous noz alliez dans les diverses passions qu’ilz ont, car nous
conclurrions la paix en Allemagne où les Suédois ne veullent point la trêve,
et nous ferions la suspension pour l’Espagne avec qui Messieurs les Estatz
ne veullent point de paix.
En troisiesme lieu parce que la paix estant faicte en Allemagne nous aurons
moyen par l’entremise de noz anciens alliez et de ceux que nous pourrons
encor gagner d’empescher que l’Empereuer ne puisse assister le roy d’Espa-
gne lorsque la trêve expirera, et cette cognoissance seulle est capable
d’obliger les Espagnolz à consentir durant la trêve aux conditions que nous
pourrons désirer d’eulx, ou en tout cas la guerre continuant avec l’Espagne
seule sans qu’elle soit secourue de l’Empire il est vraysemblable que nous
en remporterions encor plus d’avantage que nous ne pouvons faire à
présent.
Tout ce que dessus est le plus secret des sentimens de Sa Majesté et de ses
dernières intentions qu’elle a jugé a propos de faire sçavoir ausdictz sieurs
plénipotentiaires affin qu’ilz ayent en main de quoy conclurre s’ilz le
peuvent faire advantageusement, et surtout au cas que les Espagnolz offrans
tout aux Suédois ou aux Hollandois les portassent jamais à nous dire qu’ilz
veullent sortir d’affaires promptement, Sa Majesté entend néantmoins que
tout soit meurement examiné par lesdictz sieurs plénipotentiaires et qu’ilz
mandent s’ilz ont rien à réplicquer en général ou dans le détail de chaque
poinct sçachant bien que comme ilz n’ont aultre objet que le plus grand
advantage de l’Estat ilz n’oublieront rien de ce qu’ilz croyront pouvoir
contribuer à cet effect.
Sa Majesté se promet aussy qu’agissans en habilles et zélez négotiateurs ilz
emporteront beaucoup de choses dont ilz auroient eu pouvoir de se
relascher et enfin que s’ilz peuvent mieux faire et conclurre plus avantageu-
sement que tout ce qui leur est marqué, ilz y employent toute leur
prudence, et leur addresse, mais comme Sa Majesté défère beaucop à leur
jugement et faict grand cas de la cognoissance qu’ilz ont des affaires
particulièrement estans en un lieu ou praticquans avec les ministres de tous
les princes ilz voyent encor de plus près leurs intentions, l’estat de leurs
intérestz, et la conduicte que l’on doibt tenir avec eux pour en avoir plus
d’avantage. Sa Majesté leur ordonnent [!] que s’ilz estiment qu’il se doibve
de nostre part faire quelque chose de plus dans les conjunctures présentes
pour avancer et conduire à bon port la négotiation de la paix, ilz luy en
donnent advis affin que l’on y puisse faire les refflections convenables et
déférer à leurs conseilz en tant que l’on n’y treuvera point d’incon-
vénient.
Enfin lesdictz sieurs plénipotentiaires sont chargez de faire mieux s’il se
peult que tout ce qui leur est marqué, et s’ilz jugent que pour le bien de la
paix on doive se contenter de moins, d’en donner aussytost advis icy affin
qu’on leur envoye de nouveau là-dessus les intentions de Sa Majesté.
On achèvera ce mémoire par un advis que nous avons receu de bon lieu de
la cour d’Espagne, et qui est confirmé par des ministres de princes qui sont
en celle-cy, que Penneranda et ses collègues y ayant escript que la France
ne vouloit point de trêve mais seulement la paix en retenant tout et
comprenant mesme le Portugal, tous les principaux conseillers du roy
d’Espagne estoient demeurez fort surpris et mortiffiez mais qu’ilz n’avoient
pas laissé de dire tous unanimement que sy on ne pouvoit vaincre
promptement l’oppiniastreté avec laquelle les François s’attachoient à
vouloir tout retenir par la paix, ce seroit à la vérité un grand malheur, que
sy on ne pouvoit treuver quelque expédient pour désunir en peu de temps
les Suédois et les Hollandois d’avec nous, ou du moins un des deux, il falloit
sortir d’affaires à quelque prix que ce fust pour se garentir de plus grandes
pertes qu’ilz voyent peu de lieu d’empescher la campagne prochaine.
Messieurs les plénipotentiaires proffiteront de l’advis.